Droit de l’emploi et du travail – les dix décisions les plus importantes de 2023

16 janvier 2024

Une autre année s’est écoulée au cours de laquelle le droit du travail et de l’emploi s’est grandement développé, comme en font foi les décisions ci-dessous. Voici les résumés des dix principales décisions canadiennes de 2023 en matière d’emploi et de travail qui, selon nous, devraient être connues des employeurs. Nous en avons rajouté une onzième pour faire bonne mesure :

  1. R c Grand Sudbury (Ville), 2023 CSC 28

Une décision partagée de la plus haute cour du Canada établit que le propriétaire de chantier est réputé être un employeur aux fins de la LSST.

En 2023, la Cour suprême du Canada a rendu une décision très attendue, soit R c Grand Sudbury (Ville). Dans la même instance, l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario avait suscité beaucoup de controverse au sein de l’industrie de la construction, puisque la Cour avait statué que la responsabilité pour un décès survenu sur un chantier de construction pouvait potentiellement s’appliquer à un propriétaire à cause de son rôle d’« employeur ». L’affaire découle d’un incident survenu en septembre 2015, lorsqu’une piétonne a été heurtée mortellement sur un chantier de construction par une niveleuse opérée par un employé d’Interpaving Limited, un entrepreneur auquel la Ville de Sudbury avait confié le projet de construction. La Ville avait également envoyé les inspecteurs qu’elle employait pour effectuer le contrôle de la qualité du projet.

La CSC a conclu que la Ville était un « employeur » au sens de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, c. O.1 (la « LSST »). Plus particulièrement, elle a statué que la Ville avait affecté ses propres employés, c’est-à-dire les inspecteurs, au projet de construction, et qu’elle était en outre l’employeur d’Interpaving, car elle lui avait confié le projet au moyen d’un contrat. La Cour s’est attardée à la question du contrôle. Elle a statué que le degré de contrôle qu’un propriétaire exerce sur les travailleurs n’avait aucune incidence sur la question de savoir s’il était un employeur ou s’il était assujetti aux obligations d’un employeur dans le contexte d’un régime de santé et de sécurité au travail (« SST »). La CSC craignait qu’une exigence liée au contrôle aille à l’encontre de l’objectif de bien-être public, qui est de créer un chevauchement des responsabilités concernant de telles lois. Elle redoutait qu’une telle exigence donne aux intervenants en milieu de travail le moyen de contrecarrer les poursuites réglementaires en faisant porter la responsabilité sur une autre partie et en faisant valoir qu’ils n’avaient pas de contrôle sur le danger. La CSC a donc statué que le contrôle n’était pas un facteur pertinent pour déterminer qui est un « employeur » au sens de la LSST. Toutefois, elle a confirmé que le degré de contrôle d’un propriétaire était un facteur pertinent lors de l’évaluation de la défense de diligence raisonnable présentée par le propriétaire employeur.

En conséquence de cette décision, aux termes d’un régime de SST, un propriétaire peut être poursuivi pour avoir contrevenu à ses obligations d’employeur simplement en retenant les services d’un constructeur. La présence de contrôle peut être un facteur à considérer dans le cadre d’une défense de diligence raisonnable, qui fonctionne comme soupape de sûreté. La CSC a conclu qu’en conséquence, il n’existait aucune justification pour restreindre l’infraction prévue à l’alinéa 25(1)c) (l’obligation d’un employeur de s’assurer que les mesures et procédures prescrites sont mises en place dans le milieu de travail) en y superposant une exigence liée au contrôle. Quant aux préoccupations liées à l’équité, la Cour y répond en rappelant l’existence de la défense de diligence raisonnable.

Il est important de souligner que cette décision a été prise à quatre voix contre quatre parmi les juges de la Cour suprême et qu’elle ne constituera peut-être pas un précédent juridique contraignant. Toutefois, elle mérite un grand respect et sera fort persuasive. Il sera intéressant de voir comment cette question sera traitée par d’autres tribunaux à l’avenir.

Point essentiel à retenir

Conformément aux décisions de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour suprême du Canada en la matière, les propriétaires de chantier, lorsqu’ils ne font que retenir les services d’un constructeur pour effectuer des travaux sur le site, peuvent désormais être considérés comme des employeurs en vertu du régime de santé et de sécurité au travail. Cela entraînera, pour les propriétaires, des responsabilités et obligations supplémentaires à l’égard de leurs projets. Les propriétaires doivent donc s’efforcer consciemment de respecter non seulement les obligations en matière de santé et de sécurité au travail des propriétaires, mais aussi celles des employeurs, afin de se protéger le plus efficacement possible contre toute responsabilité.

  1. Ressources naturelles et Développement de l’énergie c Blaney, 2023, NBCA 61

En l’absence de [TRADUCTION] «libellé exprès et sans équivoque», la Loi sur les droits de la personne l’emporte sur les lois contradictoires.

Nous avons précédemment écrit un autre texte sur la décision de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans l’affaire Blaney : cliquer ici

Mme Blaney, ancienne membre progressiste-conservatrice de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, a été nommée directrice générale et présidente d’Efficacité NB. Au cours de la campagne électorale qui suivit, le gouvernement libéral fit valoir que la nomination de Mme Blaney constituait du « favoritisme politique ». Les libéraux furent portés au pouvoir en 2014. Subséquemment, le gouvernement prit des mesures pour résilier l’emploi de Mme Blaney et ensuite, pour dissoudre Efficacité NB en adoptant la Loi prévoyant la dissolution de l’Agence de l’efficacité et de la conservation énergétiques du Nouveau-Brunswick, LN-B 2015, c 3 (la « Loi sur la dissolution »). Mme Blaney a déposé contre la province une plainte en matière de droits de la personne. Elle alléguait que son poste avait été éliminé pour des raisons politiques, contrevenant ainsi à la Loi sur les droits de la personne, LRN-B 2011, c 171,  qui interdit la discrimination fondée sur les convictions ou activités politiques (la « plainte »).

À l’origine, la Commission des droits de la personne rejeta la plainte au motif qu’elle n’avait pas compétence en vertu d’une disposition de la Loi sur la dissolution. Subséquemment, elle a réexaminé sa position pour aborder certains évènements au soutien de la plainte, puisqu’ils étaient survenus avant que ladite disposition de la Loi sur la dissolution soit entrée en vigueur. La Commission a débuté une enquête et a ultérieurement dirigé l’affaire vers une commission d’enquête en vue d’une décision. La province a demandé un contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Lors de ce dernier, le juge saisi de la requête a statué que la décision de la Commission de diriger l’affaire vers une commission d’enquête devait être maintenue.

Lors de l’appel, la Cour d’appel a longuement discuté de l’importance des dispositions législatives en matière de droits de la personne et du seuil élevé à franchir pour les supplanter. La Cour a réitéré la nature « quasi-constitutionnelle » de la Loi sur les droits de la personne. La Cour d’appel a cité l’arrêt Insurance Corporation of British Columbia c Heerspink et al., [1982] 2 RCS 145, de la Cour suprême du Canada, et a relevé qu’un seuil élevé était requis pour « nier » la compétence de la Loi sur les droits de la personne. Il a donc été établi que le législateur doit, pour qu’une disposition législative l’emporte sur les dispositions qui concernent les droits de la personne, y inclure un « libellé exprès et sans équivoque ». Pour terminer, la Cour d’appel a statué que la Loi sur la dissolution n’était pas suffisamment précise pour conclure que le législateur avait l’intention de supplanter la Loi sur les droits de la personne. La Commission a par la suite été autorisée à renvoyer la plainte à la commission d’enquête.

Point essentiel à retenir

Les protections accordées aux employés et autres citoyens par les régimes de droits de la personne ne peuvent leur être retirées facilement. En général, les dispositions législatives en matière de droits de la personne auront préséance sur celles qui les contredisent.

  1. Alberta Health Services v Johnston, 2023 ABKB 209

L’existence d’un nouveau délit, le harcèlement, est reconnue en Alberta.

La Cour du Banc du Roi de l’Alberta a rendu une décision importante dans laquelle elle a reconnu un nouveau délit, soit le harcèlement. Dans cette décision, la Cour était saisie d’une réclamation dans le cadre de laquelle les plaignants, Alberta Health Services (« AHS »), Mme Nunn et M. Brown (des employés d’AHS), alléguaient subir de la diffamation de la part de M. Johnston. Ils demandaient une somme importante de dommages-intérêts et une injonction permanente empêchant M. Johnston de faire d’autres déclarations diffamatoires. La Cour a statué que les gouvernements démocratiquement élus, y compris les gouvernements municipaux et les conseils de bande, ne pouvaient poursuivre en diffamation. Le privilège absolu applicable aux gouvernements s’étend aux organismes publics y étant suffisamment liés, comme l’est l’AHS. Bien qu’elle rejette cette partie de la réclamation des plaignants, la Cour a reconnu l’existence d’un nouveau délit, soit le harcèlement.

La Cour a reconnu l’existence du harcèlement à titre de délit contrairement à la Cour d’appel de l’Ontario et aux tribunaux de la Colombie-Britannique qui avaient antérieurement refusé de reconnaître l’existence d’un tel délit. La justification de la Cour pour reconnaître le délit de harcèlement s’appuie notamment sur ce qui suit : a) le fait que le harcèlement soit catégorisé comme étant un acte criminel; b) le fait que les tribunaux accordent régulièrement des ordonnances d’interdiction de communiquer pour prévenir le harcèlement; c) le fait que le harcèlement, à titre de délit en common law, n’empêcherait pas le législateur de créer une cause d’action ou d’indiquer que le harcèlement ne peut donner lieu à une action; et d) le fait que le cadre du droit actuel des délits ne traite pas adéquatement les ravages causés par le harcèlement.

S’appuyant sur l’infraction criminelle de harcèlement, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a établi qu’un défendeur commettait un délit de harcèlement dans les cas suivants :

  • il communique de manière répétée, profère des menaces, traque ou adopte un comportement harcelant, en personne ou par d’autres moyens;
  • il sait ou devrait savoir que son comportement est malvenu;
  • son comportement attaque la dignité du plaignant et amènerait une personne raisonnable à craindre pour sa sécurité ou celle de ses proches; on peut prévoir qu’il causerait une détresse émotionnelle;
  • son comportement cause un préjudice.

Point essentiel à retenir

Le fait que les tribunaux canadiens reconnaissent le délit de harcèlement constitue une indication supplémentaire qu’ils considèrent un tel comportement comme étant inacceptable dans les milieux de travail et dans l’ensemble de la société d’aujourd’hui. Les employés doivent s’assurer de bien connaître leurs obligations permettant de prévenir et d’aborder le harcèlement en milieu de travail aux termes du régime de santé et de sécurité du travail applicable. Ils doivent en outre former leurs employés et gestionnaires afin qu’ils puissent reconnaître de tels comportements et y apporter des solutions. Cette affaire constitue un autre exemple de la manière dont les employeurs peuvent être tenus responsables d’un comportement harcelant aux termes du droit actuel.

  1. Dornan v New Brunswick (Health), 2023 CanLii 10433 (NB LA)

Un contrat verbal à durée déterminée est réputé exécutoire malgré un contrat écrit ultérieur.

En l’espèce, le plaignant était un endocrinologue titulaire de licence qui avait été embauché par le ministère de la Santé du Nouveau-Brunswick pour agir à titre de directeur général et de président du réseau de santé Horizon pour un mandat de cinq ans commençant le 7 mars 2022 (l’« emploi »). L’emploi avait été négocié et accepté oralement et par l’entremise d’une série de textos. Le 3 mars 2022, le plaignant recevait le texto suivant du sous-ministre de la Santé au sujet de l’emploi :

[TRADUCTION] « LISTON – Fais-moi signe quand tu auras quelques minutes. Ils ne sont pas en mesure de doubler la pension de retraite au trésor, d’après le Conseil du Trésor, et cette affirmation vient directement de Cheryl, mais ils seraient d’accord pour augmenter le salaire à 360 000 $ à la place.

LE PLAIGNANT – Tout ça avec des avantages sociaux, une allocation d’automobile et six semaines de vacances? Marché conclu.

LISTON – Je suis ravi, allons de l’avant! »

Le lendemain, deux communiqués de presse annonçaient la nomination du plaignant. À ce moment-là, aucun contrat d’emploi n’a été signé. Cependant, le 15 mars 2022 (une semaine après son entrée en poste), le plaignant a demandé un contrat d’emploi écrit afin de mettre la touche finale aux derniers détails de son régime de rémunération, y compris le paiement de ses frais de licence. Le 23 mars 2022, une offre d’emploi datée du 4 mars 2022 lui a été remise. Celle-ci contenait une disposition sur la résiliation qui n’était pas comprise dans l’arrangement antérieurement convenu.  Ayant déjà démissionné de son poste antérieur et commencé à exercer l’emploi, le plaignant a témoigné qu’il se sentait vulnérable. Il a expliqué que si des discussions avaient eu lieu au sujet de la disposition sur la résiliation comme celle en question, il n’aurait pas accepté l’emploi.

Le 15 juillet 2022, après le décès d’un patient qui attendait des services dans une salle d’urgence du Nouveau-Brunswick, l’emploi du plaignant fut résilié avec rémunération d’un an tenant lieu de préavis, conformément à la disposition sur la résiliation contenue dans l’offre d’emploi écrite. Subséquemment, la résiliation a fait l’objet d’un grief et l’affaire a été dirigée vers l’arbitrage conformément à la Loi relative aux relations de travail dans les services publics.

L’arbitre a conclu que le contrat qui régissait l’emploi avait été conclu oralement et que ses conditions ne pouvaient être modifiées que si l’employé y consentait. L’arbitre a statué qu’à cette fin, le paiement, par le ministère, des frais de licence du plaignant ne constituait pas une contrepartie (c.-à-d. la rémunération requise) justifiant l’ajout de la disposition sur la résiliation.

L’arbitre a statué que l’obligation du plaignant d’atténuer ses pertes était un [TRADUCTION] « principe de droit général ». Toutefois, l’arbitre a statué qu’à cet égard, le fardeau de preuve incombait à l’employeur, qui n’avait fourni aucun élément probant à cette fin. En conséquence, l’arbitre a ordonné le paiement pour la durée de cinq ans du contrat, y compris des dommages-intérêts particuliers englobant l’allocation d’automobile perdue, le régime de retraite perdu et les avantages sociaux en matière de santé et de soins dentaires perdus, en plus de dommages-intérêts majorés d’un montant de 200 000,00 $ pour la violation de l’obligation implicite de l’employeur d’agir de bonne foi lorsqu’il a licencié le plaignant.

Point essentiel à retenir

Il s’agit d’une affaire importante. En effet, elle sert de rappel que les ententes verbales peuvent former des contrats d’emploi contraignables juridiquement et fait ressortir l’importance de considérations supplémentaires pour toute modification apportée à de telles ententes. Les employeurs doivent s’assurer de consigner par écrit tous leurs contrats d’emploi avant que l’employé ne commence à travailler. Toute modification souhaitée à un contrat existant doit être soutenue par une quelconque forme de nouvelle rémunération ou de nouvel avantage pour l’employé touché, ou l’employé doit recevoir le préavis requis et prévu par le contrat, la loi ou la common law avant que le changement ne soit mis en œuvre.

  1. Celestini v Shoplogix Inc., 2023 ONCA 131

La doctrine de la modification de l’essence du contrat invalide une disposition sur la résiliation contenue dans un contrat d’emploi.

En 2017, Shoplogix a effectué le licenciement non motivé de M. Celestini, alléguant que les droits de ce dernier étaient régis par un contrat d’emploi conclu douze ans auparavant. Toutefois, M. Celestini a répliqué en affirmant que les dispositions sur la résiliation n’étaient pas exécutoires, car l’essence (le fondement ou la base) du contrat de 2005 avait disparu ou avait été grandement érodée par des changements importants à ses tâches professionnelles depuis 2005. Le juge saisi de la requête a conclu que les responsabilités de M. Celestini avaient été élargies de manière fondamentale et importante au cours de son emploi. Ainsi, la base du contrat de 2005 avait disparu et la doctrine de la modification de l’essence du contrat s’appliquait, ce qui signifiait que les conditions de préavis contenues au contrat de 2005 n’étaient plus exécutoires. La Cour d’appel de l’Ontario a décidé que la décision précitée devait être traitée avec déférence et a rejeté l’appel de Shoplogix.

La Cour d’appel a fait remarquer que M. Celestini et Shoplogix avaient signé une entente de rémunération incitative, soit un régime de prime pour les employés de direction. Le juge saisi de la requête avait conclu que ladite entente était compatible avec des changements importants et fondamentaux aux fonctions de M. Celestini, survenus en 2008 après la nomination d’un nouveau directeur général et la réduction du personnel de la haute direction, lesquelles avaient entraîné un élargissement important de la charge de travail et des responsabilités de M. Celestini. La Cour d’appel a précisé que la doctrine de la modification de l’essence du contrat reconnaît qu’il peut être inapproprié et inéquitable d’appliquer les dispositions sur la résiliation d’un contrat obsolète dans des circonstances qui n’ont pas été envisagées au moment de sa conclusion. Toutefois, un contrat d’emploi écrit peut supplanter la doctrine s’il prévoit expressément que ses dispositions, y compris celles sur la résiliation, continuent de s’appliquer même si le poste de l’employé, ses responsabilités, son salaire et ses avantages sociaux sont modifiés. La Cour a ajouté qu’un élargissement fondamental, plutôt qu’une réduction, des tâches de l’employé doit survenir pour que la doctrine s’applique. Cela ne signifie pas qu’un changement doive avoir lieu en ce qui concerne le titre officiel de l’employé. La question de savoir si [TRADUCTION] « le niveau de responsabilités de l’employé et leur statut correspondant ont été élargis de manière suffisamment importante » est une question de fond, et non pas de forme. Il est de toute première importance de déterminer s’il est réellement survenu un élargissement des tâches et du degré de responsabilité de l’employé de nature fondamentale (par ex. dans le cas où les tâches et les responsabilités sont fondamentalement élargies, la signification du titre professionnel est redéfinie comme si un nouveau titre avait été accordé) .

Point essentiel à retenir

La présente décision aide les employeurs à se rappeler d’inclure dans tous leurs contrats d’emploi le libellé nécessaire pour contrecarrer la doctrine de la modification de l’essence du contrat. Cela permettra de limiter la responsabilité dans les cas de licenciement d’employés de longue date.

  1. R c King, 2023 NBBR 84

Un superviseur est tenu criminellement responsable d’un décès en milieu de travail.

Nous avons préalablement écrit un texte au sujet de la décision R c King de la Cour du Banc du Roi du Nouveau-Brunswick :cliquer ici.

Le 16 août 2018, Michael Henderson (la « victime ») est décédé des suites d’un accident dans un chantier de construction à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Suivant les directives de son superviseur, Jason King (l’« accusé »), la victime nettoyait le fond d’un trou à l’intérieur d’un clarificateur (un vaste réservoir). L’accusé décida alors d’effectuer un essai d’étanchéité exigeant qu’un tuyau au milieu du clarificateur soit scellé à l’aide d’un obturateur pneumatique. Toutefois, il n’a pas indiqué à la victime qu’un tel essai serait effectué. La victime est décédée lorsque l’obturateur pneumatique s’est délogé, plaquant la victime contre le mur du trou et permettant à environ 32 000 litres d’eau de remplir le trou, l’inondant immédiatement. Malgré les tentatives effrénées pour venir en aide à la victime, elle est malheureusement morte noyée. En conséquence de l’accident, des accusations de négligence criminelle causant la mort ont été portées contre l’accusé, conformément au paragraphe 220 b) du Code criminel, SRC 1985, c.  C-46.

Il a été conclu lors du procès que l’accusé avait omis d’agir de manière à respecter les normes de conduite minimales acceptables attendues d’un superviseur de chantier raisonnable. Le juge de première instance a conclu que l’accusé avait fait couler de l’eau dans le trou alors que la victime y travaillait, ce qui était de toute évidence contraire à la sécurité. Il a aussi relevé les omissions suivantes de l’accusé : omission de lire les manuels de sécurité de l’employeur et de se familiariser avec eux; omission d’identifier le trou dans lequel la victime travaillait comme espace clos; omission de mettre en place un régime de sécurité pour les espaces clos et l’essai d’étanchéité; omission de tenter de planifier ou de mettre en place des mesures de sécurité pour l’essai; omission d’informer les employés qu’un essai était effectué; omission de placer des barrières autour du trou pour empêcher les employés d’entrer. À cause de tout ce qui précède, le juge de première instance a conclu que l’accusé avait montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Subséquemment, l’accusé a été reconnu coupable de négligence criminelle causant la mort et condamné à une peine d’emprisonnement de trois (3) ans.

Point essentiel à retenir

Les employeurs doivent insister sur le fait qu’il est important que tous les employés, superviseurs et membres de la direction se conforment aux exigences en matière de santé et de sécurité au travail. Cela est nécessaire non seulement pour la simple raison que la conformité aide à assurer la sécurité des collègues et travailleurs, mais aussi parce qu’une omission peut entraîner non seulement des obligations financières, mais l’emprisonnement s’il survient des blessures ou un décès.

  1. Pham v Qualified Metal Fabricators Ltd., 2023 ONCA 255

Les pratiques antérieures ne justifient pas les mises à pied en absence de modalités contractuelles. Le fait de signer une lettre de mise à pied n’équivaut pas à la tolérance à l’égard de ladite mise à pied.

M. Pham a déposé une réclamation pour congédiement injustifié après avoir reçu un avis de mise à pied qui a été prolongée plusieurs fois. Qualified Metal Fabricators a présenté une requête en jugement sommaire pour rejeter la réclamation, alléguant que M. Pham avait accepté ou toléré les mises à pied et avait omis d’atténuer les dommages-intérêts en ne cherchant pas un nouvel emploi. Le juge saisi de la requête a rejeté la réclamation de M. Pham, tout comme la requête incidente en jugement sommaire. M. Pham a porté cette décision en appel.

M. Pham a été mis à pied de concert avec 30 autres employés en raison de la pandémie de COVID-19. Le 23 mars 2020, le directeur d’usine de Qualified Metal Fabricators a rencontré M. Pham et l’a informé de sa mise à pied. À ce moment, une lettre lui a été remise, l’informant qu’il serait mis à pied temporairement et que ses avantages sociaux continueraient de s’appliquer pendant ladite mise à pied. Le 2 juin 2020, la mise à pied a été prolongée pour une période pouvant atteindre 35 semaines. Elle a été prolongée à nouveau le 23 septembre 2020. À ce moment, une lettre indiquant que la mise à pied était assujettie au Règlement de l’Ontario 228/20 aux termes de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, LO 2000, c. 41 (la « LNE ») a été remise à M. Pham. Ledit règlement prévoyait qu’un employé dont les heures avaient été réduites ou éliminées temporairement pour des raisons liées à la COVID-19 était, rétroactivement, réputé en congé en raison d’une maladie infectieuse plutôt que licencié. Le 9 décembre 2020, la mise à pied était à nouveau prolongée jusqu’au 4 septembre 2021. Le 3 février 2021, M. Pham trouvait un autre emploi. Subséquemment, le 9 février 2021, il recevait une lettre de rappel au travail de Qualified Metal Fabricators.

La Cour d’appel a statué qu’en l’absence d’une clause expresse ou implicite contraire dans un contrat de travail, une mise à pied unilatérale par un employeur constitue un changement important qui peut constituer un congédiement déguisé. Les paragraphes 56(1) et 56(2) de la LNE octroient à un employé mis à pied 35 semaines pour « attendre et voir » s’il sera appelé avant de choisir le licenciement ou la fin de la relation d’emploi. Lesdits paragraphes établissent qu’une mise à pied dépassant 35 semaines est réputée être un congédiement. Toutefois, les conditions d’emploi de M. Pham ne permettaient pas expressément sa mise à pied par l’employeur. Qualified Metal Fabricators alléguait qu’elle avait implicitement le droit de mettre à pied M. Pham à cause de ses pratiques antérieures de mises à pied d’employés survenues en 2009. Toutefois, la Cour d’appel a statué que le fait que d’autres employés avaient été mis à pied ne constituait pas une condition implicite du contrat d’emploi de M. Pham permettant sa mise à pied. En outre, la Cour a estimé que la tolérance de M. Pharm à l’égard de la mise à pied n’était pas établie, bien qu’il ait signé la lettre de mise à pied remise par l’employeur.

Point essentiel à retenir

Les employeurs doivent inclure dans les contrats d’emploi un libellé exprès concernant leur capacité de mettre à pied temporairement des travailleurs afin de tirer avantage des droits de mise à pied prévus par les dispositions législatives en matière d’emploi. Même si un employeur a mis à pied des employés dans le passé, cela pourrait ne pas suffire pour justifier des mises à pied contestées. De plus, la signature par l’employé d’une lettre l’avisant d’une mise à pied pourrait ne pas suffire à prouver qu’il a accepté la mise à pied.

  1. Croke v VuPoint System Ltd., 2023 ONSC 1234

Le défaut de se conformer à une politique de vaccination contre la COVID-19 équivaut à rendre un contrat inexécutable.

Le ou vers le 8 septembre 2021, Bell a informé VuPoint que ses installateurs devaient recevoir deux doses d’un vaccin approuvé contre la COVID-19. VuPoint a adopté une politique de preuve obligatoire de vaccination exigeant que tous les installateurs, dont M. Croke, soient vaccinés contre la COVID-19 et en fournissent la preuve. La politique indiquait que le défaut de s’y conformer entraînerait [TRADUCTION] « l’interdiction à l’employé d’effectuer des travaux pour certains clients (dont Bell) » et [TRADUCTION] « l’absence d’affectation de l’employé à des travaux ». Toutefois, elle n’abordait pas la question de la cessation d’emploi.

M. Croke, qui effectuait des travaux uniquement pour Bell, a refusé de se faire vacciner et de fournir une preuve de vaccination. Subséquemment, VuPoint a mis fin à son emploi à compter du 12 octobre 2021. Il a reçu un préavis de cessation d’emploi de deux semaines et une indemnité de départ conformément au Code canadien du travail. VuPoint était d’avis que le contrat d’emploi de M. Croke était devenu inexécutable. Les parties ont convenu de ce qui suit : le fait d’être incapable de travailler pour Bell et le fait que M. Croke ne se soit pas fait vacciner ont entraîné son incapacité totale d’effectuer les fonctions de son poste.

La Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué que l’obligation d’être vacciné de Bell avait créé l’évènement imprévu et soudain nécessaire pour rendre le contrat inexécutable, puisqu’elle signifiait que M. Croke ne pouvait exécuter aucun travail pour VuPoint à moins d’être vacciné. La Cour a conclu que ni M. Croke ni VuPoint n’étaient en défaut de respecter le contrat d’emploi. VuPoint n’ayant aucun contrôle sur la politique de Bell, la Cour a comparé les circonstances à un cas où un employé est incapable de travailler en raison d’un changement à la loi qui fait en sorte qu’il n’est plus qualifié pour effectuer son travail. La Cour a finalement conclu que l’incapacité totale de M. Croke d’accomplir les fonctions de son poste dans un avenir prévisible constituait un changement radical touchant le cœur même du contrat de travail et entraînant l’impossibilité de l’exécuter. La Cour a poursuivi en soulignant que la notion d’impossibilité d’exécution peut également s’appliquer aux situations où le contrat pourrait être susceptible d’exécution [TRADUCTION] « mais serait totalement différent de ce que les parties ont voulu s’il était exécuté après le changement survenu ».

Point essentiel à retenir

L’impossibilité d’exécuter le contrat peut s’appuyer sur la constatation d’un évènement soudain, qui n’était pas prévu au moment de la formation du contrat d’emploi, et qui fait en sorte que l’employé est incapable de s’acquitter de ses fonctions. Toutefois, il peut aussi être établi dans des situations où bien que l’employé puisse être capable de faire son travail, le travail serait [TRADUCTION] « totalement différent de ce que les parties ont voulu s’il était exécuté après le changement survenu ».

  1. Monterosso v Metro Freightliner Hamilton Inc., 2023 ONCA 413

Aux termes des contrats à durée déterminée, les entrepreneurs indépendants ont une obligation d’atténuer les dommages.

Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario a analysé la question de savoir si les entrepreneurs indépendants dont les services étaient retenus au moyen de contrats à durée déterminée avaient l’obligation d’atténuer leurs dommages. Les appelants ont retenu les services de l’intimé à titre d’entrepreneur indépendant. Les services ont été résiliés sans motif le 22 novembre 2017. En conséquence, l’intimé a intenté une action en paiement pour les 65 mois restants de son contrat. La juge de première instance a conclu que le contrat ne comportait pas de clause de résiliation et qu’il prévoyait clairement et sans ambiguïté une durée déterminée de 72 mois.

Les appelants ont soutenu que la juge de première instance avait commis une erreur en décidant que l’intimé n’était pas tenu d’atténuer ses dommages. Cet argument a été accepté par la Cour d’appel. La Cour d’appel de l’Ontario a statué que la juge de première instance avait commis une erreur en confondant la situation des entrepreneurs indépendants et celle des employés régis par un contrat à durée déterminée. La Cour d’appel réitère n’avoir jamais conclu que les entrepreneurs indépendants n’avaient pas l’obligation d’atténuer les dommages à la suite d’une rupture de contrat à durée déterminée. Il a été établi qu’une obligation d’atténuer les dommages découlait de la rupture du contrat, y compris dans le cas des entrepreneurs indépendants, sauf si les conditions du contrat prévoient le contraire.

Points essentiels à retenir

Il est important que les employeurs (ou, dans le cas d’une relation d’entrepreneur indépendant, les clients) sachent que les entrepreneurs indépendants exerçant leurs activités en vertu de contrats à durée déterminée ont, en fait, l’obligation d’atténuer leurs dommages si le contrat est résilié avant terme. Cela contribuera à minimiser la responsabilité à l’égard de telles parties dans les cas où l’entrepreneur conteste la résiliation avant terme.

  1. Milwid v IBM Canada Ltd, 2023 ONCA 702; (et en PRIME!) Lynch v Avaya Canada Corporation, 2023 ONCA 696

La Cour accorde des périodes de préavis raisonnables supérieures à la « limite » habituelle de 24 mois.

Ces deux arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario servent d’exemples d’octrois de périodes de préavis qui dépassent la « limite » de 24 mois du préavis raisonnable.

Dans Milwid v IBM Canada Ltd., la Cour d’appel a confirmé la décision du juge saisi de la requête d’accorder un préavis raisonnable de 27 mois. La Cour a retenu que la preuve établit que les compétences de l’intimé n’étaient pas transférables, puisqu’elles se rapportaient presque exclusivement aux produits de l’appelante, et qu’il s’agissait d’une circonstance exceptionnelle qui n’était pas couverte par les facteurs Bardal, ce qui pouvait justifier une période de préavis excédant 24 mois. Conséquemment, la Cour a confirmé l’octroi d’une période de préavis de 26 mois. La Cour d’appel a ensuite souligné que la décision du juge saisi de la requête d’accorder un préavis d’un mois supplémentaire, portant le total à 27 mois, était appropriée pour tenir compte des circonstances de la pandémie de COVID-19.

Dans Lynch v Avaya Canada Corporation, Avaya avait mis fin à l’emploi de Lynch, ingénieur professionnel, après 38 ans de service, en raison d’une restructuration de l’entreprise. Le juge saisi de la requête a conclu qu’un préavis de 30 mois était approprié dans l’ensemble des circonstances. La Cour d’appel a statué que, lorsqu’ils rédigent des motifs dans des affaires de congédiement injustifié dans lesquelles ils proposent d’accorder des dommages-intérêts pour une période de préavis raisonnable supérieure à 24 mois, les juges doivent préciser les facteurs qui, selon eux, démontrent l’existence de « circonstances exceptionnelles » aux fins du calcul de la période de préavis raisonnable. En l’espèce, les facteurs identifiés comme circonstances exceptionnelles comprenaient : le fait que Lynch se spécialisait dans la conception de logiciels pour contrôler le matériel unique fabriqué par Avaya à son usine de Belleville; le fait incontesté que l’emploi de Lynch était unique et spécialisé, et que ses compétences étaient adaptées et limitées par son expérience très particulière en milieu de travail chez Avaya; le fait que pendant sa longue période d’emploi, Lynch a développé un ou deux brevets chaque année pour son employeur; le fait qu’Avaya avait identifié Lynch comme un « exécutant clé » dans l’une de ses dernières évaluations de rendement; et le fait que bien qu’un emploi semblable et comparable puisse être disponible dans des villes comme Ottawa ou Toronto, ces emplois seraient rares à Belleville où Lynch – qui s’apprêtait à célébrer son 64ᵉ anniversaire – avait vécu tout au long de son emploi.

Point essentiel à retenir

Ces décisions rappellent combien il est important que des dispositions exécutoires en matière de cessation d’emploi soient incluses dans tous les contrats de travail. Sans de telles limites dans leurs contrats, les employeurs pourraient faire face à d’importantes indemnités de préavis raisonnable en vertu de la common law pour les employés qui peuvent établir qu’ils ont été congédiés injustement et qui peuvent démontrer qu’il existe des « circonstances exceptionnelles » nécessitant une indemnité importante supérieure à la limite habituelle de 24 mois.

Cet article a été rédigé avec la collaboration de Claire Dowden, stagiaire en droit chez Cox et Palmer.

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