Admissibilité à l’aide médicale à mourir

14 décembre 2023

Le 17 mars 2021, plusieurs modifications au Code criminel ont révisé les critères d’admissibilité relatifs à l’aide médicale à mourir (« AMM »), en s’appuyant sur le cadre d’AMM initialement mis en œuvre dans le Code criminel en 2016. Bien que l’AMM provienne du droit criminel, ses implications sont pertinentes pour la planification successorale et pour d’autres aspects de la pratique juridique.

Au cours de la dernière décennie, et plus particulièrement depuis les modifications apportées au Code criminel en 2021, l’AMM a été un sujet d’intérêt et de débat tant pour les professionnels du droit que pour le public.

Les dispositions du Code criminel relatives à l’AMM (les articles 241.1 à 241.4) s’appliquent aux médecins ou aux infirmi(er/ère)s praticien(ne)s qui, à la demande d’une personne :

  • administrent une substance qui cause sa mort; ou
  • prescrivent ou fournissent une substance afin qu’une personne se l’administre et cause ainsi sa mort[1].

En vertu du Code criminel, une personne est admissible à recevoir l’AMM si elle :

  1. est admissible aux services de santé canadiens;
  2. est âgée d’au moins dix-huit ans et est capable de prendre des décisions en ce qui concerne sa santé;
  3. est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables;
  4. a fait une demande d’AMM de manière volontaire; et
  5. consent de manière éclairée[2].

La jurisprudence canadienne a également fourni des lignes directrices à l’égard du droit constitutionnel d’une personne admissible à demander l’AMM, y compris l’arrêt de principe rendu en 2015 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter c Canada (Procureur général)[3].

  1. Admissibilité aux services de santé canadiens

Une personne peut être admissible à l’AMM si elle est couverte par un régime de soins de santé provincial ou si elle serait admissible, n’était le délai minimal de résidence ou de carence applicable. En général, l’AMM n’est pas offerte aux visiteurs au Canada[4].

  1. Capacité

Afin d’être admissible à recevoir l’AMM, une personne doit être âgée d’au moins dix-huit ans et être capable de prendre des décisions concernant sa santé. Contrairement à la capacité de tester, qui est évaluée par un(e) avocat(e), la capacité décisionnelle en matière de soins de santé aux fins de recevoir l’AMM est évaluée par un(e) médecin ou un(e) infirmi(er/ère) praticien(ne).

  1. Problèmes de santé graves et irrémédiables

Afin d’être admissible à l’AMM, une personne doit être atteinte de problèmes de santé graves et irrémédiables. Cette exigence n’est remplie que si chacune des conditions suivantes est réunie :

  • l’état de santé de la personne doit être grave et incurable (il doit s’agir d’un état physique, même si la personne ne doit pas nécessairement être atteinte d’une maladie mortelle ou être en phase terminale);
  • la personne doit être dans un stade avancé de déclin des capacités qui est irréversible (bien que la mort naturelle ne doit pas nécessairement être raisonnablement prévisible); et
  • l’état de déclin de la situation médicale de la personne doit lui causer des souffrances persistantes et intolérables (-à-d. que son état ne peut pas être apaisé dans des conditions qu’elle juge acceptables)[5].

À l’heure actuelle, « la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap » aux fins de la détermination de l’admissibilité à l’AMM[6]. Par conséquent, une personne qui souffre uniquement d’une maladie mentale et qui n’a aucun autre problème de santé physique ne peut pas actuellement recevoir l’AMM.

Lors des modifications apportées au Code criminel en 2021, la disposition prévoyant une exclusion de l’admissibilité sur la base de la maladie mentale devait être abrogée le 17 mars 2023. Les changements proposés découlent de la décision rendue en 2019 par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon c Procureur général du Canada[7], où la Cour a jugé inconstitutionnel le critère d’admissibilité de la « prévisibilité raisonnable de la mort naturelle » prévu au Code criminel. Toutefois, le 9 mars 2023, la période d’exclusion a été prolongée jusqu’au 17 mars 2024 afin d’assurer qu’un cadre et des mesures de protection appropriés seront mis en place pour répondre aux demandes d’AMM pour des personnes souffrant de troubles mentaux[8].

  1. Demande volontaire

La demande d’AMM doit être faite de manière volontaire et sans pressions extérieures[9].

  1. Consentement éclairé

Une personne doit consentir de manière éclairée pour recevoir l’AMM. Cette exigence implique que la personne doit avoir reçu toutes les informations nécessaires pour prendre sa décision, y compris en ce qui concerne son diagnostic médical et les options de traitement à sa disposition (y compris l’option de recevoir des soins palliatifs).. Une fois qu’un consentement éclairé a été donné, celui-ci peut être retiré à tout moment et de n’importe quelle manière que ce soit. En général, une personne doit donner un consentement éclairé au moment de demander l’AMM et immédiatement avant de la recevoir. Toutefois, si la mort naturelle d’une personne est prévisible au moment de sa demande initiale d’AMM, l’exigence relative au consentement immédiatement avant de recevoir l’AMM peut être renoncée dans les circonstances particulières prévues aux paragraphes 241.2 (3.2) à (3.5) du Code criminel.

Autonomie décisionnelle ultime

Les tribunaux ont reconnu l’AMM comme étant un droit constitutionnellement protégé. Dans l’arrêt Sorenson c Swinemar, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a statué qu’une fois qu’il a été décidé qu’une personne est admissible à l’AMM, elle a « le droit constitutionnel de suivre cette voie » [notre traduction] [10]. « Empêcher ou retarder une personne admissible à recevoir l’AMM est une violation de ses droits garantis par l’article 7 de la Charte » [notre traduction] [11]. Cela s’appuie sur l’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada, qui a mené à l’adoption des premières lois sur l’AMM en 2016. Dans l’arrêt Carter, la cour a statué que les dispositions du Code criminel  en vigueur à l’époque interdisant l’AMM « portent atteinte de manière injustifiée » aux droits du destinataire garantis par la Charte[12].

Dans l’arrêt Sorenson, la Cour a également statué que l’épouse d’un homme qui demandait l’AMM n’avait pas d’intérêt pour agir en droit privé pour contester l’admissibilité de son époux à l’AMM en raison de son statut d’épouse. « [L’]autonomie personnelle dans la prise de décisions médicales [doit être] respectée et protégée. Reconnaître un intérêt à agir [à madame] afin qu’elle puisse mettre en doute le résultat de l’évaluation de l’AMM en raison de son statut d’épouse serait une omission de reconnaître ce droit fondamental de son époux » [notre traduction] [13].

Le droit d’une personne admissible à recevoir l’AMM est toutefois subordonné à l’expertise et au pouvoir discrétionnaire des administrateurs de l’AMM. Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a statué qu’« il est possible pour les médecins de bien évaluer la capacité décisionnelle avec la diligence requise et en portant attention à la gravité de la décision à prendre »[14]. La Cour d’appel de la Nouvelle‐Écosse a développé davantage ce raisonnement dans l’arrêt Sorenson, où elle a affirmé que la détermination de l’admissibilité d’une personne à l’AMM n’est pas une question justiciable; il s’agit plutôt d’« [une décision] qui devrait être laissée aux personnes autorisées à évaluer les soins de santé » [notre traduction] [15].

Autres considérations relatives à l’AMM

Bien que la portée du présent article soit limitée à l’état du droit concernant l’admissibilité à l’AMM, les modifications apportées au Code criminel en 2021 ont en outre notamment introduit des garanties procédurales pour l’administration de l’AMM au Canada et ont modifié les exigences relatives à la collecte des données et la surveillance. Les garanties procédurales sont pertinentes pour les processus permettant à une personne de recevoir l’AMM au Canada.

Un article complémentaire au présent article, qui examine le processus de demande, les garanties procédurales et les exigences en matière de données applicables à l’AMM, est prévue pour 2024.

Développements et répercussions prévus

L’inclusion anticipée de l’admissibilité à l’AMM en mars 2024 pour les personnes atteintes de maladies mentales fera probablement en sorte que l’AMM demeurera un sujet d’actualité dans l’avenir prévisible.

Le processus de planification successorale incite souvent les personnes à prendre en considération le sujet de l’AMM au moment où elles envisagent leurs options; elles pourraient vouloir obtenir des précisions sur l’admissibilité à l’AMM et sur le processus de demande auprès d’un(e) avocat(e) œuvrant dans le domaine de la planification successorale. En revanche, les personnes qui envisagent l’AMM sont invitées à consulter un(e) avocat(e) spécialisé(e) œuvrant dans le domaine de la  planification successorale pour s’assurer de l’exactitude et du caractère adéquat de leurs documents successoraux (c.-à-d. leurs testaments et procurations).

Dans tous les cas, toute personne intéressée à examiner la possibilité d’obtenir l’AMM devrait consulter son médecin.

[1] Code criminel, LRC 1985, c. C-46, art 241.1 « aide médicale à mourir » [Code criminel].

[2] Ibid, art. 241.2 (1).

[3] 2015 CSC 5 [Carter].

[4] Gouvernement du Canada, « Aide médicale à mourir » (2 févr. 2023) <https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/services-avantages-lies-sante/aide-medicale-mourir.html> [Gouvernement du Canada].

[5] Code criminel, précité, note 1, art. 241.2 (1), (2).

[6] Ibid, art. 241.2 (2.1).

[7] 2019 QCCS 3792.

[8] Gouvernement du Canada, précité, note 4.

[9] Code criminel, précité, note 1, art 241.2 (1)(d).

[10] 2020 NSCA 62, juge Bourgeois au par. 29 [Sorenson].

[11] Ibid., au par. 152.

[12] Carter, précité, note 3, au par. 147.

[13] Sorenson, précité, note 10, aux par. 152 et 110.

[14] Carter, précité, note 3 au par. 116.

[15] Sorenson, précité, note 10 au par. 101.

La présente publication de Cox & Palmer a pour unique but de fournir des renseignements de nature générale et ne constitue pas un avis juridique. Les renseignements présentés sont actuels à la date de leur publication et peuvent être sujets à modifications après la publication.