Droit de l’emploi et du travail – les dix décisions les plus importantes de 2022

Droit de l’emploi et du travail – les dix décisions les plus importantes de 2022

19 janvier 2023

Ces deux dernières années, nos vies et le système judiciaire ont été bouleversés par la pandémie de COVID-19 et les nombreux enjeux qu’elle a soulevés. Cependant, bon nombre de décisions qui pourraient avoir une incidence sur les employeurs ont été rendues l’an dernier.

Nous avons résumé ci-après les dix décisions rendues en 2022 en droit de l’emploi et du travail qui sont selon nous les plus importantes pour les employeurs.

  1. Yaschuk c Emerson Electric Canada Limited, 2022 AHRC 62

Montant record de 50 000 $ en dommages-intérêts généraux octroyé à la plaignante après des années de harcèlement sexuel au travail.

Vous pouvez consulter nos précédentes remarques sur la décision du Tribunal des droits de la personne de l’Alberta dans Yaschuk .

La plaignante a été congédiée après trois années de service aux Ressources humaines d’Emerson Electric. Pendant ces trois années, elle a fait l’objet de harcèlement sexuel constant de la part de sa superviseure – la directrice des ressources humaines (la « directrice des RH »). Une plainte pour harcèlement sexuel a été déposée; peu après, la plaignante a été congédiée au motif que son rendement n’était pas satisfaisant. Une enquête bâclée a été réalisée, puis l’employeur a jugé que la plainte pour harcèlement n’était pas fondée.

La plaignante a ensuite déposé une plainte en matière de droit de la personne auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Alberta pour discrimination fondée sur le genre, alléguant qu’elle avait été harcelée sexuellement par la directrice des RH. Le Tribunal a jugé que, contrairement aux conclusions de l’enquête de l’employeur, les commentaires et le comportement de la directrice des RH constituaient du harcèlement sexuel. Le Tribunal a estimé que l’enquête d’Emerson Electric avait été menée de manière désinvolte et cavalière et il a souligné bon nombre de lacunes dans la procédure d’enquête.

Il a octroyé à la plaignante des dommages-intérêts généraux de 50 000 $ en compensation des [traduction] « profondes répercussions » qu’ont eues la discrimination et le harcèlement sur elle, et du traitement bâclé de sa plainte par Emerson. Elle a également obtenu une indemnité de 11,4 semaines de salaire, pour un total de 42 750 $ de perte de revenus. Ses réclamations pour différents dommages spéciaux ont été rejetées.

  1. Richard c Matrix SMW Canada ULC, 2022 NBQB 086

Dommages-intérêts pour congédiement injustifié détenus en fiducie sous réserve de mesures d’atténuation.

  1. Richard a réclamé des dommages-intérêts pour congédiement injustifié après 15,5 années de service. Pour l’essentiel, cette décision portait sur une simple affaire de congédiement injustifié qui n’avait rien de particulier. Cependant, ce qui retient notre attention, c’est la façon dont la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick a décidé que les dommages-intérêts octroyés à M. Richard devaient lui être versés. La Cour a jugé que M. Richard avait droit à 18 mois d’indemnité tenant lieu de préavis. Mais le jugement a été rendu au cours de cette période de 18 mois, alors M. Richard était toujours tenu d’atténuer son préjudice.

Dans une décision sans précédent dans les provinces atlantiques canadiennes, la Cour a ordonné que l’indemnité tenant lieu de préavis soit détenue dans le compte en fidéicommis de l’avocat de M. Richard, et qu’un paiement proportionnel lui soit versé chaque mois. Ce paiement mensuel était assujetti à l’obligation de M. Richard d’atténuer son préjudice et de déclarer ses revenus. Tous les revenus d’atténuation devaient être déduits du paiement mensuel et retournés à l’ancien employeur de M. Richard, Matrix.

Nous pensions que cette décision méritait de figurer au palmarès des 10 décisions marquantes parce qu’elle annonce un possible changement de cap dans la façon dont les tribunaux des provinces atlantiques canadiennes pourraient traiter, à l’avenir, l’octroi de dommages-intérêts pour congédiement injustifié.

  1. Render v ThyssenKrupp Elevator (Canada) Limited, 2022 ONCA 310.

Un seul événement de harcèlement sexuel est un motif justifié de congédiement.

L’appelant cumulait une trentaine d’années de service et occupait un rôle de gestion au moment de sa cessation d’emploi. Il a été congédié après un seul événement survenu au travail, lors duquel il a donné une tape sur les fesses d’une collègue. Le juge de première instance a conclu que la collègue avait fait une blague verbale ou non verbale au sujet de la taille de l’appelant, celui-ci a affirmé qu’il s’est alors accroupi; à ce moment-là, il se trouvait à environ 12 pouces d’elle, puis il a dit [traduction] « Je ne suis pas plus grand que ça quand j’enlève mes bottes ». Il s’est ensuite agenouillé, accroupi devant elle, son visage près de sa poitrine pendant 2 à 3 secondes; tout le monde s’est mis à rire, y compris la collègue. Alors qu’il se relevait, il a balayé l’air de sa main droite avec l’intention de donner une tape sur la hanche de sa collègue avant de dire [traduction] « Allez, dégage »; cependant, il affirme qu’il a soit perdu l’équilibre, ou qu’elle s’est tournée, ce qui expliquerait que sa main a touché ses fesses. Quand c’est arrivé, il a dit : « Bien joué. » En première instance, le tribunal a confirmé le congédiement.

La Cour d’appel de l’Ontario a estimé que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur dans son approche ou son analyse et qu’il avait évalué et pesé tous les facteurs pertinents permettant de conclure que le congédiement était justifié. La Cour a affirmé que cette situation déplorable s’était produite à cause d’une ambiance de travail excessivement familière et donc, inappropriée, ce qui a ouvert la voie à ce dérapage – une ambiance de travail qu’on ne saurait tolérer plus longtemps.

Cependant, la Cour d’appel a jugé que le comportement de l’appelant ne constituait pas une inconduite délibérée qui serait grave au point de le déchoir des droits que lui confère la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, et que le juge de première instance avait commis une erreur en le privant de ces droits. La Cour a fait remarquer que même si le juge de première instance avait bien conclu que le contact n’était pas accidentel, il n’a pas expressément conclu que ce comportement était planifié. Le critère de l’inconduite « délibérée » a déjà été interprété, et cité par la Cour; il consiste à évaluer l’intention subjective, un peu comme l’intention spécifique en droit criminel. Par conséquent, comme la tape n’était pas planifiée, elle n’était pas délibérée au sens requis par la Loi sur les normes d’emploi et pour ce motif, l’appelant a obtenu huit semaines d’indemnité tenant lieu de préavis.

  1. Power c Mount Pearl (City), 2022 NLSC 129

Normes pénales de perquisition et de saisie appliquées dans un contexte d’emploi. Limitation du droit d’accès de l’employeur aux appareils électroniques de l’employeur.

Cette décision fait suite au congédiement de deux conseillers municipaux au motif qu’ils avaient omis de divulguer un conflit d’intérêts en communiquant avec le conseiller administratif en chef du Conseil (le « CAC ») alors qu’il était en congé le temps d’une enquête pour harcèlement au travail. Les communications entre les conseillers et le CAC pendant la durée de l’enquête s’affichaient sur l’iPad du CAC appartenant à la municipalité par l’entremise de l’application Messenger de Facebook. Au moment où les messages ont été envoyés, le CAC n’avait pas l’iPad en sa possession, car il l’avait laissé à la municipalité lors de sa mise en congé. Les messages étaient composés, envoyés et reçus sur les appareils personnels du CAC. Cependant, ils étaient également transmis et consultables sur son iPad de travail. Le CAC a allégué qu’en surveillant et en lisant ses messages sur Facebook, la Ville avait porté atteinte à ses droits à la vie privée.

La Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador a conclu que les droits à la vie privée du CAC avaient été bafoués et a jugé qu’il existait bien dans la province un droit à la vie privée reconnu en common law. La Cour a appliqué le critère défini dans R c Cole, 2012 CSC 53 – un critère élaboré dans le contexte de fouilles, perquisitions et saisies en droit criminel. Elle a aussi conclu que la surveillance, la lecture et l’archivage des messages constituaient un délit au sens de la Privacy Act provinciale, R.S.N.L. 1990, ch. P-22.

Il y a un bémol cependant, puisque la Ville a porté cette décision en appel devant la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador.

  1. Décision 2022172 de la WHSCRD de Terre-Neuve-et-Labrador

Un collègue en grande détresse psychologique n’est pas un événement objectivement traumatique aux fins de l’indemnisation des accidents du travail.

Dans cette affaire, la travailleuse avait déposé un avis de lésion du travailleur indiquant qu’elle avait été exposée à un événement traumatique au travail. Le dossier médical de la travailleuse montre qu’elle a reçu un diagnostic de réaction aiguë au stress attribuable à un événement traumatique au travail. Selon l’avis de lésion de l’employeur, un collègue, en grande détresse psychologique, avait exprimé à la travailleuse son intention de se faire du mal. La travailleuse a affirmé que son collègue lui avait dit qu’il avait l’intention de se suicider, qu’il avait un plan et qu’il avait commencé à emballer les affaires de son bureau en disant qu’il ne serait plus là le lendemain. Dans un premier temps, WorkplaceNL a accepté la réclamation de la travailleuse, mais l’employeur a demandé une révision interne de la décision. Le spécialiste interne de la révision a renvoyé l’affaire à l’arbitre saisi du dossier; celui-ci a conclu que la preuve était suffisante pour établir que la réclamation pour préjudice psychologique de la travailleuse était fondée. Cette décision a été confirmée par le spécialiste interne de la révision, mais l’employeur a demandé une révision de sa décision à la Direction des révisions (Review Division).

Ce dernier a finalement écarté la décision du spécialiste interne et déclaré que la lésion de la travailleuse n’était pas indemnisable aux termes de la Loi et de la politique EN-18 : Mental Stress. La Workplace Health, Safety and Compensation Act exclut le stress des lésions indemnisables, sauf si celui-ci correspond à l’exception prévue à l’alinéa 2(1)(o), lequel précise que lorsque la lésion est imputable au stress, elle peut être indemnisable seulement si le stress est une réaction à un ou plusieurs événements traumatiques. Citant l’interprétation la plus récente de l’alinéa 2(1)(o) dans St. John’s Transportation Commission c Workplace Health, Safety and Compensation Commission et al., 2009 NLTD 102, la Direction des révisions affirme que pour déterminer si un événement est « traumatique », il ne faut pas s’appuyer sur la réaction de la personne face à l’événement, mais plutôt sur une analyse objective – du point de vue d’une personne raisonnable qui se retrouverait dans la même situation.

La Direction des révisions fait remarquer que selon la politique EN-18 de WorkplaceNL, Mental Stress, un événement traumatique peut être dû au fait qu’une personne a été témoin, ou victime, d’un acte criminel ou d’un horrible accident, et les événements traumatiques peuvent comporter des éléments de violence réels ou éventuels. La politique ajoute qu’en tout état de cause, l’événement doit survenir du fait ou au cours de l’emploi, être clairement et précisément identifiable et être objectivement traumatique.

Au bout du compte, la Direction des révisions a déterminé que l’événement décrit par l’employeur et la travailleuse n’était pas objectivement traumatique, précisant que dans cette situation, il semblerait que la travailleuse n’avait pas à intervenir pour prévenir une menace immédiate de lésions, elle n’a pas découvert son collègue essayant activement de s’infliger des blessures, elle n’a été en présence d’aucune menace imminente de blessures et enfin, on ne retrouve aucun élément d’horreur ou de violence réelle ni aucune menace imminente de violence contre la travailleuse (ou éventuellement contre un proche). La Direction des révisions a conclu que le spécialiste interne de la révision avait commis une erreur dans son application de l’article 60 de la politique EN-18 et de la politique EN-20 en déterminant que la preuve amenait à conclure que l’événement était de nature traumatique, plutôt que bouleversante.

  1. Ristorante a Mano Limited c Canada (Revenu national), 2022 CAF 151

Les pourboires électroniques doivent être inclus dans l’avis de cotisation aux fins du RPC et de l’AE.

Cette affaire porte sur un différend relatif aux pourboires versés aux employés de Ristorante a Mano Limited. Il arrivait que les clients remettent un pourboire en espèces au serveur, qui pouvait alors le conserver sans en informer l’employeur. La plupart du temps cependant, ils payaient leur facture par carte de débit, carte de crédit ou carte-cadeau et ajoutaient le pourboire par ce mode de paiement électronique au moment de régler la facture; ce montant était alors déposé dans le compte de l’employeur. L’employeur transférait ensuite une partie des pourboires électroniques aux serveurs en suivant la procédure établie.

À la fin de chaque quart, chaque serveur imprimait un « sommaire des ventes » faisant état de ses ventes de plats, de ses ventes de boissons, des paiements en espèces et électroniques reçus en règlement des factures, de ses pourboires électroniques et d’autres renseignements. Un pour cent (1 %) des ventes de plats nettes du serveur était reversé en « pourboire » au personnel de cuisine, tandis que l’employeur retenait deux pour cent (2 %) des pourboires électroniques en remboursement de ses frais bancaires liés à la conversion de ces pourboires en espèces. Le montant des pourboires électroniques du serveur, après déduction de ces deux retenues, était transféré à l’employé par chèque ou par dépôt direct. L’employeur considérait que les pourboires électroniques que recevaient les serveurs n’étaient pas un salaire admissible pour l’application de la Loi sur le Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le « RPC »), ni une rémunération assurable pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, ch. 23 (l’« AE »). Cependant, le ministre ne voyait pas les choses sous le même angle; il a donc émis un avis de cotisation à l’employeur au motif qu’il aurait dû comptabiliser une partie des pourboires électroniques des serveurs pour 2015, 2016 et 2017. L’employeur a fait appel de cette décision auprès du ministre, puis auprès de la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI »), mais les deux recours en appel ont été rejetés et l’avis de cotisation a été maintenu. L’employeur a contesté la décision de la CCI devant la Cour d’appel fédérale.

Cette dernière fait remarquer que les deux régimes s’appliquent aux montants [traduction] « payés par l’employeur » à l’employé. La Cour d’appel fédérale est d’accord avec la décision de la CCI, à savoir que tous les pourboires versés aux serveurs, surtout lorsqu’ils sont payés par l’employeur lui-même, sont réputés être payés [traduction] « à l’égard de l’emploi », mais elle le formule autrement : [traduction] « si ce n’était » leur emploi de serveur chez l’employeur, les serveurs ne recevraient aucun des pourboires qui leur sont payés. La Cour d’appel fédérale souligne que le même principe s’applique aux pourboires électroniques même s’ils ne représentent qu’une partie des pourboires électroniques qu’a reçus l’employeur de la part des clients d’un serveur. Elle conclut qu’en tout état de cause, il faut toujours se poser la question suivante : l’employeur a-t-il payé les montants en cause aux employés à l’égard de leur emploi? Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion de la CCI voulant que les pourboires électroniques soient des « traitement et salaire cotisables de l’employé pour l’année, versés par l’employeur » aux fins du RPC et de l’AE.

  1. Post c Hillier, 2022 ONSC 3793

Préjudice causé par la diffamation sur les réseaux sociaux, la Cour octroie 85 000 $ de dommages-intérêts.

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une décision en droit du travail et de l’emploi, mais les actions en diffamation sur les médias sociaux liées aux litiges dans le milieu de travail sont de plus en plus fréquentes. Il est important que les employeurs sachent comment les tribunaux jugent ces comportements et quelles conséquences doivent subir les personnes qui commettent sciemment de tels délits civils contre leur employeur ou leurs collègues.

Mme Post réclamait des dommages-intérêts et demandait des ordonnances et les dépens pour des gazouillis faux et diffamatoires que Mme Hillier a publiés la concernant. Les gazouillis affirmaient que Mme Post, une enseignante d’anglais à l’Université Carleton, était une prédatrice sexuelle qui droguait ses étudiants. Mme Hillier avait étudié à l’Université Carleton et récemment, sa candidature à une charge publique avait échoué. Les parties se sont connues en 2008, lorsque Mme Hillier s’est inscrite à deux cours d’anglais de premier cycle de Mme Post. Elles se sont ensuite liées d’amitié l’année suivante, puis elles se sont rapprochées au point où en 2014, Mme Hillier a assisté à la réception de mariage de Mme Post. Mais des différences d’opinions politiques ont mis un frein à leur amitié en 2020 et Mme Hillier a commencé à publier des gazouillis diffamatoires au sujet de Mme Post sur son compte Twitter, qui cumulait plus de 9 300 abonnés. Lorsque ces gazouillis ont été signalés parce qu’ils enfreignaient les règles de Twitter en matière de violence ciblée et de harcèlement, Mme Hillier a commencé à publier à partir d’un nouveau compte suivi par 1 500 abonnés. Mme Hillier est même allée jusqu’à ajouter une mention dans les comptes Twitter de l’Université Carleton et de son père, Randy Hillier, qui étaient suivis à eux deux par environ 50 000 personnes. Mme Post a envoyé un avis de diffamation à Mme Hillier, et même si cette dernière a accusé réception de l’avis par courriel, elle a annoncé sur Twitter qu’elle refusait de retirer ses gazouillis. Mme Hillier n’a signifié aucune défense dans l’action intentée contre elle après ces faits et par conséquent, elle s’est retrouvée en défaut.

La Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que Mme Post avait prouvé les trois éléments requis du délit de diffamation et puisque la cause était entendue par défaut, elle n’avait pas à déterminer si Mme Hillier avait la possibilité d’opposer une défense. Lors de l’évaluation des dommages, la Cour a fait remarquer que les allégations selon lesquelles Mme Post consommerait de la drogue et exploiterait sexuellement ses étudiants risquaient plus particulièrement de lui causer un préjudice, et que Mme Hillier avait encore aggravé l’atteinte réelle et éventuelle à la réputation et au statut professionnel de Mme Post en ajoutant le compte Twitter de son employeur dans ses publications.

Ce qu’il faut retenir dans cette décision, ce sont les remarques de la Cour concernant la publication des déclarations dans les médias sociaux. La Cour précise que la diffusion des déclarations dans les médias sociaux ne fait qu’aggraver le préjudice causé à Mme Post. Elle affirme que la conception même de Twitter, qui ne se veut pas un lieu d’échange d’idées rationnelles ou de débats utiles, mais bien un moyen d’attirer un maximum d’attention ou d’obtenir le plus grand achalandage possible sans égard à la véracité ou à la valeur du contenu des gazouillis, signifie que les utilisateurs doivent assumer des conséquences plus lourdes, sous forme de dommages-intérêts, en raison de l’impact que peut avoir la diffamation sur les réseaux sociaux. La Cour a jugé que la manière dont Mme Hillier s’est servi des médias sociaux et les mesures qu’elle a prises pour accroître son audience justifient des dommages-intérêts plus élevés. Compte tenu de ce qui précède, et vu que Mme Hillier n’a publié aucune rétraction ni présenté d’excuses, et que la Cour a conclu que Mme Millier était animée par la malveillance, la Cour a ordonné à cette dernière : (i) de payer à Mme Post des dommages-intérêts généraux majorés de 75 000 $ et des dommages-intérêts punitifs de 10 000 $; (ii) de publier une rétractation pendant 60 jours sur son compte Twitter; (iii) de retirer tous les gazouillis relatifs à Mme Post; (iv) de s’abstenir dorénavant de communiquer, directement ou indirectement, sur quelque plateforme de médias sociaux que ce soit ou par tout autre moyen, des renseignements faux, diffamatoires ou désobligeants à l’égard de Mme Post.

Mme Hillier ne s’est pas pliée à l’ordonnance et a continué à publier sur son compte Twitter des déclarations diffamatoires au sujet de Mme Post. Elle a ensuite été déclarée coupable d’outrage au tribunal et condamnée à 75 jours de détention à domicile ainsi qu’à 120 heures de service à la collectivité.

  1. Bande de Miawpukek (Première Nation de Miawpukek) c Howse, 2022 CF 1501

Mesure de réintégration à un autre poste excédant le champ de compétence prévu dans le Code canadien du travail.

Miawpukek a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre qui a accueilli la plainte de Mme Howse pour congédiement injustifié et ordonné que cette dernière soit conditionnellement réintégrée à un autre poste auprès de Miawpukek. Mme Howse est membre de la bande Miawpukek et elle est devenue directrice du service de la formation et du développement économique en 2011, alors qu’elle était au service de Miawpukek depuis plus d’une dizaine d’années. Au début du mois de mai 2018, elle a pris un long congé de maladie, mais elle a continué à travailler pendant son congé, soumettant des demandes d’heures supplémentaires au cours de périodes pour lesquelles elle avait demandé des indemnités de congé de maladie. Mme Howse avait eu un certain nombre d’interactions négatives avec le directeur général de la bande et d’autres employés de Miawpukek et une enquête sur des plaintes réciproques de harcèlement au travail a été menée. L’enquête a conclu que Mme Howse s’était livrée à du harcèlement au travail à l’encontre de quatre personnes et que le directeur des services juridiques et l’avocat-conseil de Miawpukek ainsi que le directeur général n’avaient pas harcelé Mme Howse au travail. Le chef de la bande a congédié Mme Howse pour motif valable en avril 2019, citant les conclusions du rapport d’enquête et d’autres problèmes liés au rendement de Mme Howse. Cette dernière a déposé une plainte pour congédiement injustifié contre Miawpukek.

La Cour fédérale a jugé que même si Mme Howse avait fait l’objet d’une suspension de trois jours en mai 2018, lors de laquelle elle a présenté ses excuses au directeur général, Miawpukek n’a pas pris d’autres mesures disciplinaires progressives pour tenter de remédier au comportement de Mme Howse. La Cour a jugé que l’arbitre s’était demandé, avec raison, si Mme Howse avait été suffisamment avertie des conséquences éventuelles de son comportement et si elle avait eu une occasion en bonne et due forme d’y remédier et d’améliorer son rendement. Elle a fait remarquer que même si le congédiement de Mme Howse faisait suite à l’enquête interne et au rapport d’enquête, ces étapes ne dispensaient pas Miawpukek de son obligation de mettre en œuvre une approche fondée sur des mesures disciplinaires progressives. Par conséquent, la Cour a confirmé la conclusion de congédiement injustifié rendue par l’arbitre.

Toutefois, elle n’était pas du même avis concernant l’ordonnance de réintégration à un autre poste que celui qu’occupait Mme Howse avant son congédiement. La Cour fédérale cite Royal Bank of Canada c Cliché, [1985] FCJ No 424, affirmant que les limites du pouvoir d’un arbitre sont dictées par le bon sens, à savoir que [traduction] « pour [appliquer une telle ordonnance], l’employeur doit soit créer un nouveau poste, soit libérer un poste existant en congédiant ou en mutant l’employé qui l’occupe déjà. La nature injuste de cette mesure réparatrice saute aux yeux : l’employeur devra choisir entre accroître ou réorganiser son personnel, ou porter atteinte aux droits d’un tiers innocent. » L’affaire a été renvoyée à l’arbitre afin qu’il réexamine la question de la mesure réparatrice, en tenant compte des limites de son champ de compétence comme le décrit la Cour dans sa décision.

  1. Hussey c Bell Mobilité Inc., 2022 CAF 95

La Cour confirme qu’il y a deux approches pour évaluer l’indemnité tenant lieu de réintégration en vertu du Code canadien du travail.

Mme Hussey a interjeté appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant sa demande de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre qui a conclu qu’elle avait été injustement congédiée de son emploi chez Bell Mobilité Inc. L’arbitre avait refusé de la réintégrer et lui avait accordé une indemnité tenant lieu de réintégration ainsi que les dépens sur la base d’une indemnité partielle. L’arbitre a jugé que le comportement de Mme Hussey était répréhensible et a conclu que, puisque Bell avait toléré son comportement et avait même promu Mme Hussey, elle n’avait aucun motif justifiant de la congédier sans appliquer dans un premier temps des mesures disciplinaires progressives. Cependant, l’arbitre a décidé qu’il n’ordonnerait pas la réintégration de Mme Hussey compte tenu de son absence de remords et du fait qu’elle continuait de se justifier de ne pas avoir respecté les procédures de son employeur. L’arbitre a indiqué que selon lui, [traduction] « il est peu probable qu’elle change substantiellement de comportement et d’attitude si elle est réintégrée ». Il a fixé l’indemnité de Mme Hussey à huit mois de salaire, ce qui correspond à ses années de service, auxquels s’ajoutent quatre mois de salaire pour la perte de protection contre les congédiements sans motif valable prévue dans le Code canadien du travail, et 2 % d’intérêt sur la somme de ces montants. Il a refusé d’accorder les arriérés de salaire.

Mme Hussey a contesté la décision sur la question de l’indemnité en se fondant sur son interprétation de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Wilson c Énergie atomique du Canada Limitée, 2016 CSC 29, qui selon elle rejette l’approche de la common law en matière d’indemnité (où l’indemnité correspond à l’évaluation du préjudice causé par le congédiement injustifié) appliquée par l’arbitre, faisant valoir qu’il aurait plutôt dû appliquer une approche fondée sur une durée fixe (où l’indemnité correspond au montant qu’aurait reçu l’employé jusqu’à sa retraite, rajustée pour tenir compte des différentes éventualités). La Cour d’appel fédérale a affirmé que Wilson portait sur la préservation des droits que confère le Code canadien du travail aux employés non syndiqués, mais que la question dont elle était saisie en l’espèce était l’évaluation de ces avantages si la personne salariée n’est pas réintégrée. La Cour fédérale a déclaré que l’approche de la common law n’était pas un simple moyen d’éviter l’application des dispositions relatives au congédiement injustifié en versant une indemnité tenant lieu de réintégration plutôt qu’une indemnité tenant lieu de préavis. La Cour d’appel fédérale a jugé que même si la décision de la Cour suprême dans Wilson affirmait que les dispositions relatives au congédiement injustifié avaient pour effet d’assujettir les congédiements injustifiés au droit de l’emploi sous réglementation fédérale, elle ne précisait pas comment devait être évaluée la perte de protection contre les congédiements sans motif valable lorsqu’une personne salariée n’est pas réintégrée, et aucune décision de jurisprudence n’est venue affirmer que l’approche de la common law était déraisonnable ou mal fondée en droit. Par conséquent, il était raisonnable pour l’arbitre d’appliquer l’approche de la common law. La Cour a ajouté que le simple fait qu’une approche soit raisonnable ne signifie pas que toutes les autres approches sont déraisonnables. Pour conclure, cette décision ne se veut pas un désaveu ou un rejet de l’approche fondée sur une durée fixe, et les deux approches demeurent un moyen valable d’évaluer l’indemnité tenant lieu de réintégration.

  1. Pokornik c SkipTheDishes Restaurant Services Inc., 2022 MBKB 178

Clause d’arbitrage réputée inapplicable, inopposable aux travailleurs et travailleuses de l’économie à la demande.

Charleen Pokornik a déposé une action le 25 juillet 2018 contre SkipTheDishes Restaurant Services Inc. (« Skip ») réclamant, entre autres, une déclaration confirmant qu’elle est une employée de Skip et non une entrepreneure indépendante, ainsi qu’une ordonnance certifiant l’action en tant que recours collectif. Skip a présenté à la Cour une demande d’ordonnance de sursis de l’action au profit de l’arbitrage – sujet de la décision qui nous occupe. Skip a fait valoir que les parties avaient une entente les obligeant à soumettre leur litige à l’arbitrage, ce à quoi s’opposait Mme Pokornik. Le 19 juillet 2018, Skip a envoyé un courriel à Mme Pokornik pour l’aviser qu’une nouvelle entente avec les coursiers prendrait effet le 26 juillet 2018. Le courriel résumait les faits saillants de la nouvelle entente, qui comportait une clause d’arbitrage, et indiquait clairement que si elle n’acceptait pas les nouvelles modalités, elle ne serait pas autorisée à continuer de travailler.

Les parties ne s’entendaient pas sur le fait que Mme Pokornik ait accepté ou non la nouvelle entente avec les coursiers. Skip affirmait qu’elle avait accepté en cliquant sur « I Agree » sur la plateforme de Skip et qu’elle avait confirmé son acceptation en cochant la case d’une clause stipulant que si elle [traduction] « … n’acceptait pas la version modifiée des modalités énoncées aux présentes… », elle ne pourrait pas continuer à fournir ses services par l’entremise de la plateforme de Skip. Mme Pokornik affirmait pour sa part qu’elle avait signé sous toute réserve et par conséquent, qu’elle n’avait pas accepté les modalités de cette nouvelle entente avec les coursiers. Elle a écrit à Skip afin que cette dernière lui confirme qu’elle était obligée d’accepter, et plus tard dans une autre communication, elle a clairement fait savoir qu’elle n’acceptait pas les nouvelles modalités, tout en précisant qu’elle les accepterait pour pouvoir continuer à travailler, mais sous toute réserve. Skip n’a pas répondu à cette dernière communication.

La Cour a finalement conclu qu’aucune clause d’arbitrage n’était en vigueur au moment où l’action a été intentée le 25 juillet 2018 puisque la nouvelle entente avec les coursiers ne prenait effet que le lendemain. De plus, il était impossible d’interpréter la clause d’arbitrage de manière à l’appliquer rétroactivement à une action en instance avant sa prise d’effet. En outre, la Cour a jugé que Mme Pokornik n’avait pas accepté les nouvelles modalités et que par conséquent, les relations entre elle et Skip étaient régies par la première version de l’entente. Étant donné que Skip n’a pas répondu au courriel de Mme Pokornik dans lequel elle affirme qu’elle acceptait les nouvelles modalités sous toute réserve, et que Mme Pokornik a continué à travailler, la Cour a conclu que Skip avait acquiescé à la position de Mme Pokornik. La Cour a finalement jugé que la clause d’arbitrage était inique, étant convaincue que le pouvoir de négociation était manifestement déséquilibré, et que même si Mme Pokornik avait obtenu un avis juridique indépendant, cela ne rétablissait en rien ce déséquilibre.

 

 

 

 

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La présente publication de Cox & Palmer a pour unique but de fournir des renseignements de nature générale et ne constitue pas un avis juridique. Les renseignements présentés sont actuels à la date de leur publication et peuvent être sujets à modifications après la publication.