Le déclin d’un critère juridique différent en matière de discrimination fondée sur la situation de famille?

1 décembre 2016

L’affaire Misetich v. Value Village Stores Inc., 2016 HRTO 1229 (la décision « Misetich »), une décision récente du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (le « tribunal »), qui a examiné les responsabilités d’un employé dans le cadre des soins dispensés à une personne âgée, soulève un doute relatif au critère juridique adéquat à appliquer dans les causes en matière de discrimination fondée sur la situation de famille.

Les faits

La requérante travaillait au magasin du Village des Valeurs de Niagara Falls (l’« employeur ») depuis 2006. Au départ, elle avait été engagée comme vendeuse à temps partiel et elle travaillait à l’entrée du magasin, le jour, le soir et sur appel. En 2010, elle a accepté un poste dans la production, à l’arrière du magasin, travaillant uniquement le jour, du lundi au vendredi. En janvier 2013, la requérante a développé des microtraumatismes répétés à la main et au bras gauches qui ont exigé des mesures d’adaptation. Le gérant du magasin lui a offert des tâches modifiées et temporaires, adaptées à ses limitations physiques qui ont été confirmées dans un formulaire sur les capacités fonctionnelles que son médecin a rempli. Elle a également été prévenue qu’en conséquence, ses quarts de travail et ses heures pourraient varier et comprendre des quarts de jour, de nuit et de fin de semaine. La requérante a refusé l’offre de tâches modifiées, car l’horaire ne lui convenait pas étant donné qu’elle préparait les repas du soir pour sa mère âgée.

En juin 2013, l’employeur a écrit à la requérante relativement à son omission de lui fournir une attestation médicale justifiant ses absences continues du travail et appuyant sa demande de mesures d’adaptation découlant de ses responsabilités à l’égard de sa mère. La requérante a choisi de ne pas communiquer les renseignements médicaux confidentiels et privés concernant sa mère et était mécontente que l’employeur lui ait demandé de fournir une preuve attestant qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables pour tenter de résoudre son problème. À l’issue d’une série d’échanges entre la requérante et l’employeur, celle-ci a été avisée qu’à défaut de retourner au travail selon les modalités des tâches modifiées ou de fournir une preuve acceptable à l’appui de sa demande d’accommodement concernant ses responsabilités familiales, son contrat de travail serait résilié en raison d’un abandon de poste. Finalement, la requérante a été congédiée le 1er octobre 2013. Le même jour, elle a essayé de fournir une note du médecin confirmant qu’elle était l’aidante naturelle de sa mère. La note n’a pas été acceptée par l’employeur.

La décision

Avant d’examiner s’il y a eu discrimination fondée sur la situation de famille, l’arbitre Scott a précisé que selon elle, le critère juridique ne devrait pas être différent dans les causes de discrimination fondée sur la situation de famille par rapport aux cas de discrimination fondée sur d’autres motifs illicites. L’arbitre a refusé d’appliquer le critère en quatre parties en matière de discrimination fondée sur la situation de famille accepté par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110 (« Johnstone ») qui a abordé la question de la discrimination fondée sur la situation de famille dans le contexte des obligations de garde d’enfant d’une employée. Le critère prima facie de discrimination de l’affaire Johnstone, qui a été consacré par la jurisprudence de plusieurs territoires comme critère convenable à appliquer dans les causes de discrimination fondée sur la situation de famille, est établi comme suit :

  1. l’enfant est sous les soins et la supervision de l’employé;
  2. les obligations de garde d’enfant engagent la responsabilité légale de l’employé pour cet enfant par opposition à un choix personnel;
  3. l’employé a fait des efforts raisonnables afin de répondre à ces obligations de garde d’enfant au moyen de solutions de rechange et aucune de ces solutions n’est raisonnablement accessible; et
  4. la règle en milieu de travail entrave de manière plus que négligeable ou insignifiante l’accomplissement de l’obligation de garde d’enfant.

Après avoir reconnu qu’un critère particulier a été développé en premier lieu en matière de discrimination fondée sur la situation de famille parce que toutes les répercussions négatives sur les obligations familiales ne sont pas discriminatoires, critère accepté par l’arbitre, cette dernière a conclu qu’il ne devrait pas y avoir de critère différent en la matière. Son raisonnement a été le suivant :

  1. Aucun principe ne fonde l’établissement d’un critère différent en matière de discrimination selon les motifs de distinction illicite allégués;
  2. Différents critères en matière de discrimination fondée sur la situation de famille ont donné lieu à une incertitude et à un manque de cohérence juridiques;
  3. Le critère en matière de discrimination fondée sur la situation de famille est devenu, peut-être par inadvertance, plus élevé que pour d’autres types de discrimination – certains motifs n’émanent peut-être pas des responsabilités légales essentielles à la relation parent-enfant;
  4. Le critère de la responsabilité légale est difficile à appliquer dans le contexte des soins aux personnes âgées – il y a peut-être un critère plus élevé pour les responsabilités liées aux soins à dispenser aux personnes âgées, car la responsabilité d’un enfant adulte de prendre soin de ses parents âgés n’est pas aussi claire que la responsabilité de prendre soin des enfants; et
  5. Certaines causes ont regroupé le critère de discrimination et les mesures d’adaptation.

En appliquant le critère en matière de discrimination de manière générale, à savoir : (1) la requérante peut établir qu’elle est membre d’un groupe protégé (2) elle a subi un traitement défavorable, et (3) le motif de discrimination constituait un facteur dans le traitement défavorable, l’arbitre a conclu qu’il n’y avait pas de discrimination dans cette cause. L’arbitre Scott a conclu que la capacité de la requérante de fournir des repas du soir à sa mère n’était pas défavorablement touchée par l’exigence de travailler pendant le jour, le soir et la fin de semaine, car elle aurait pu travailler pendant ces quarts de travail tout en se chargeant des repas du soir pour sa mère, lorsque nécessaire, de la même façon qu’elle pouvait le faire à d’autres moments de la journée. Elle a constaté qu’au cours d’une période de 10 mois, l’employeur avait demandé à la requérante une preuve médicale relative aux soins dispensés à sa mère, et qu’en guise de réponse, la requérante avait simplement énoncé que le changement de son horaire de travail était discriminatoire en raison de sa situation de famille étant donné qu’elle s’occupait des repas du soir pour sa mère. La requérante n’a pas fourni plus de renseignements à l’employeur sur la nature de ses responsabilités en matière de soins à une personne âgée. Chose intéressante, la requérante a présenté une preuve supplémentaire à cet égard au moment de l’audience. Par conséquent, l’arbitre a déclaré que si ces renseignements avaient été fournis à l’employeur, la requérante aurait pu établir que le changement des heures de travail proposé constituait un traitement défavorable fondé sur la situation de famille.

Quelles sont les implications de cette décision pour les employeurs?

De la décision Campbell River, à celle de l’affaire Johnstone, puis à celle de l’affaire Misetich

La décision Misetich ajoute à l’incertitude quant au critère juridique qui sera appliqué dans les cas de discrimination fondée sur la situation de famille. Certains lecteurs se rappelleront la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Health Sciences Association of British Columbia v. Campbell River et al., 2004 BCCA 260 (la décision « Campbell River ») citée par l’arbitre dans cette cause, qui établit le critère de l’« interférence importante » en matière de discrimination fondée sur la situation de famille. Comme cela a été confirmé dans la décision Campbell River, une preuve prima facie de discrimination est établie lorsqu’un changement de condition d’emploi imposé par un employeur entraîne une interférence importante avec une responsabilité parentale ou une autre responsabilité ou obligation familiale importante de l’employé. Le critère de l’affaire Campbell River, imposant un seuil plus élevé dans l’établissement de la discrimination fondée sur la situation de famille par rapport aux cas de discrimination fondés sur d’autres motifs, a ensuite été rejeté dans l’affaire Johnstone.

Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a maintenant rejeté dans cette décision le critère de l’affaire Johnstone qui semblait émerger comme la décision faisant autorité en matière de discrimination fondée sur la situation de famille au Canada depuis sa publication en mai 2014. Si le raisonnement de la présente décision devait être suivi, les employés n’auraient pas à prouver que leurs obligations en matière de garde d’enfant ou de soins à une personne âgée engagent une responsabilité légale visant à prouver la discrimination fondée sur la situation de famille. L’arbitre a déclaré que [traduction] « l’employé ne devra pas se contenter d’établir une conséquence négative sur un besoin familial », ajoutant que « la conséquence négative doit entraîner un réel inconvénient à la relation parent-enfant et aux responsabilités qui découlent de cette relation ou du travail de l’employé ».

Il reste à voir si le raisonnement de l’affaire Misetich sera appliqué à d’autres causes en matière de discrimination fondée sur la situation de famille et, le cas échéant, s’il s’appliquera aux décisions traitant d’obligations de garde d’enfant. Pour l’instant, cette décision semble servir de prétexte à plus de réclamations en matière de discrimination fondée sur la situation de famille par des employés dans ce domaine des droits de la personne non encore résolus.

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