Les dix décisions les plus importantes de 2021 en droit de l’emploi et du travail

1 février 2022

Nous ne vous apprendrons rien en disant que la pandémie de COVID-19 a créé bien des remous dans le domaine du droit de l’emploi et du travail au cours de la dernière année. En 2021, tribunaux judiciaires et administratifs se sont penchés sur les effets perturbateurs que la pandémie pourrait avoir eus sur les normes établies. Étant donné que peu de contrats d’emploi et de conventions collectives abordaient la question des pandémies auparavant, une incertitude planait sur des aspects comme les congés de maladie, la santé et la sécurité et les arrêts de travail. Cela dit, croyez-le ou non, on a aussi parlé d’autre chose en 2021 : les droits de la personne, la santé et la sécurité au travail et la cessation d’emploi ont aussi connu des développements.

Nous avons résumé ci-dessous les dix décisions rendues en 2021 en droit de l’emploi et du travail qui sont selon nous les plus importantes pour les employeurs.

  1. Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42

Les arbitres en droit du travail ont compétence exclusive pour trancher les litiges portant sur les droits de la personne découlant de conventions collectives.

En 2021, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt sur l’exclusivité de la compétence des arbitres en droit du travail pour statuer sur les litiges en matière de droits de la personne qui découlent d’une convention collective. Vous pouvez consulter nos précédentes remarques sur cette affaire ici.

L’affaire concerne une suspension imposée à une employée, l’une des intimées, qui s’est présentée au travail en état d’ébriété et qui a par la suite avoué à son employeur qu’elle était alcoolique. Ce dernier lui a demandé de signer une « entente de la dernière chance » l’obligeant à cesser de consommer et à suivre un traitement. Face au refus de l’employée de signer l’entente, il l’a congédiée.

Le syndicat a déposé un grief pour contester cette décision, et l’employée a été réintégrée dans ses fonctions. Elle a toutefois été congédiée une fois de plus peu de temps après au motif qu’elle avait enfreint les conditions de sa réintégration. L’employée a déposé une plainte de discrimination auprès de la Commission des droits de la personne du Manitoba. L’employeur a contesté la compétence de l’arbitre de la Commission, avançant que les litiges concernant une convention collective étaient du ressort exclusif des arbitres du travail. Or, l’arbitre a estimé qu’elle avait compétence et a conclu que l’employeur avait fait preuve de discrimination envers son employée. Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire et s’est rendue jusqu’en Cour suprême, sur un pourvoi de l’employeur.

La Cour a réitéré un principe bien établi : les arbitres du travail peuvent statuer sur des questions de droit de la personne qui découlent d’une convention collective. Le juge Brown, s’exprimant pour la majorité, a conclu que l’exclusivité de la compétence est dérivée d’une analyse des lois applicables. En l’occurrence, diverses lois provinciales sur les relations de travail exigent que les conventions collectives comportent une clause désignant l’arbitrage comme forum unique et final pour l’interprétation, l’application ou la violation de la convention.

La Cour a souligné que l’arbitre du travail n’aurait pas compétence exclusive si une autre loi l’attribuait manifestement à une autre juridiction. Dans l’affaire Horrocks, aucune loi n’attribuait de compétence à la Commission des droits de la personne du Manitoba. Par conséquent, la Commission n’avait pas compétence pour trancher le litige, la seule avenue étant le processus d’arbitrage.

La Cour a pris soin de souligner que sa décision ne bloquait pas l’introduction de toutes les actions liées au travail devant un tribunal. La compétence exclusive d’un arbitre s’étend aux litiges en droits de la personne se rapportant à l’interprétation, à l’application ou à la prétendue violation d’une convention collective. En résumé, un employé ne peut pas déposer une plainte en droits de la personne dans ce contexte, à moins qu’une loi ne prévoie expressément une compétence concurrente.

  1. Slater v. Halifax Herald Limited, 2021 NSSC 210 (en anglais seulement)

La PCU n’est pas déduite des dommages-intérêts pour congédiement injustifié… c’est bien ça?

Après près de quarante ans de carrière au Halifax Herald, un employé de 61 ans a été mis à pied sans salaire en mars 2020, au début de la pandémie de COVID-19. La mise à pied ne devait durer que trois mois, mais à la fin de cette période, au lieu d’être réintégré dans ses fonctions, il a été licencié. Son employeur lui a offert dix semaines de salaire supplémentaires, tout en lui indiquant qu’il n’était pas tenu de les lui verser. Estimant avoir subi un congédiement injustifié, l’employé a réclamé des dommages-intérêts.

L’employeur a d’abord allégué qu’il n’avait aucune obligation envers l’employé vu l’inexécutabilité du contrat, pour finalement reconnaître qu’il devait des dommages-intérêts. Cependant, entre-temps, l’employé a commencé à recevoir des versements du gouvernement du Canada au titre de la Prestation canadienne d’urgence (PCU). Selon l’employeur, ces versements devaient être déduits des dommages-intérêts accordés.

La PCU a été créée pour les personnes ayant dû cesser de travailler en raison de la pandémie. Au moment du litige, le gouvernement n’avait pas encore établi les règles pour le remboursement de la PCU. Il était plutôt déterminé à venir en aide rapidement aux Canadiens. On disait simplement aux demandeurs qu’ils auraient peut-être à retourner leurs versements s’il était éventuellement déterminé qu’ils y étaient inadmissibles. La Cour a examiné les règles existantes en matière d’assurance-emploi et de dommages-intérêts. Les prestations d’assurance-emploi ne sont pas déduites des dommages-intérêts, puisque si l’employé a gain de cause, il lui revient de les rembourser au gouvernement. Vu l’incertitude entourant le remboursement de la PCU, la Cour a préféré se montrer prudente et ne pas la déduire des dommages-intérêts accordés pour un congédiement injustifié.

L’affaire Slater fait partie des rares décisions qui examinent le statut de la PCU dans le contexte de dommages-intérêts accordés pour congédiement injustifié. Des cas similaires dans d’autres provinces ont mené à des conclusions partagées et certaines cours, particulièrement en Colombie-Britannique, estiment que la PCU devrait être déduite. En l’espèce, la Cour a été très claire : les dommages-intérêts ne devraient pas être ajustés pour tenir compte des versements au titre de la PCU. Il serait injuste de le faire, surtout que plusieurs prestataires devront la rembourser. L’employé a reçu une indemnité tenant lieu du préavis de 24 mois auquel il aurait eu droit vu son ancienneté, son âge et la nature de son travail. La décision n’ayant pas encore été portée en appel, il faudra attendre pour avoir une conclusion définitive.

  1. The Worker v. The District Managers, 2021 BCHRT 41 (en anglais seulement)

Un tribunal des droits de la personne rejette la plainte pour discrimination fondée sur la religion d’un travailleur qui refuse de porter un masque.

L’une des mesures les plus litigieuses liées à la pandémie de COVID-19 est l’imposition du port du masque dans les espaces publics et les entreprises privées par les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous avons d’ailleurs déjà analysé deux décisions sur le sujet : ici et ici. L’affaire The Worker est le deuxième examen préalable sur lequel nous nous sommes penchés. Publié par le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique (le « Tribunal »), il concerne l’obligation de porter un masque dans les espaces publics (nous nous étions préalablement penchés sur un litige entre un client et un magasin). Les résultats de ces examens sont rarement publiés; ils sont généralement transmis uniquement au plaignant pour lui indiquer si sa plainte sera entendue en audience ou non. Ceux qui sont publiés le sont généralement dans le but d’informer la population.

Dans l’affaire The Worker, le Tribunal se demande si l’employeur a fait preuve de discrimination envers un employé qui a refusé de porter le masque pour des motifs religieux. L’employé a été embauché pour travailler dans un établissement de district. À son arrivée, il a refusé de porter un masque, invoquant ses croyances religieuses. Son refus a mené à son congédiement.

À la suite de son examen préalable, le Tribunal a rejeté la plainte de l’employé et a expliqué pourquoi l’obligation de porter le masque était valide. L’employé n’a pas soumis de faits prouvant que le port du masque était, subjectivement ou objectivement, interdit par quelque religion que ce soit. Le Tribunal est d’avis que la plupart des arguments de l’employé étaient de nature personnelle, qu’ils n’étaient appuyés par aucun motif religieux valable.

Résultat : les croyances de l’employé n’étaient pas des croyances religieuses protégées, mais des opinions personnelles. Cette décision laisse présager que la barre sera haute pour tout employé qui prétend que son opposition au port du masque et aux autres mesures sanitaires, comme les vaccins, est ancrée dans des croyances religieuses, et non dans des motifs personnels non protégés.

  1. Wong v. Polynova Industries Inc., 2021 BCSC 603 (en anglais seulement)

Les employeurs doivent accepter la répudiation d’un contrat d’emploi par écrit.

Au moment des faits, le plaignant était un employé de 70 ans comptant 15 années de service continu auprès de l’employeur. Par l’intermédiaire du service de messagerie texte WeChat, l’employé a indiqué à un supérieur qu’il s’absenterait pour des raisons de santé. Il a précisé qu’il serait absent pendant environ deux semaines en raison des consignes d’isolement liées à la COVID-19. Son absence a toutefois finalement duré deux mois. L’employé n’a jamais communiqué avec l’employeur pendant cette période. De son côté, l’employeur a tenté à deux reprises de contacter l’employé via sa ligne téléphonique résidentielle, qui avait été débranchée. Il n’a pas fait d’autres tentatives.

Pendant l’absence de l’employé, l’employeur a formé une nouvelle personne qui allait essentiellement le remplacer. Au grand étonnement de l’employeur, après une absence de deux mois, l’employé s’est présenté pour son quart de travail habituel. L’employeur lui a fait valoir qu’il avait abandonné son emploi, qu’il n’était plus son employé et qu’il n’avait droit à aucune indemnité de préavis. En désaccord, l’employé prétend plutôt avoir été congédié sans préavis.

Dans sa décision, la Cour insiste dès le départ sur le fait que le lien d’emploi est une relation contractuelle. Si l’employé peut répudier son contrat d’emploi par abandon, l’employeur doit l’accepter. En l’espèce, l’employeur n’a pas communiqué son acceptation de la répudiation. Ce faisant, le contrat d’emploi est demeuré intact, et l’employé avait droit à l’indemnité tenant lieu de préavis.

La Cour a souligné qu’un employeur pouvait accepter une répudiation de plusieurs façons, mais qu’il devait absolument communiquer son acceptation par écrit. La transmission d’un relevé d’emploi est une façon simple d’accepter la répudiation d’un contrat d’emploi.

  1. EN v. Gallagher’s Bar and Lounge, 2021 HRTO 240 (en anglais seulement)

Le mégenrage d’employés par un employeur est un motif valable de plainte en droits de la personne.

L’employeur dans cette affaire exploite un resto-bar. Quatre personnes travaillaient en cuisine. L’une d’elles s’identifie comme étant de genre queer et deux se disent non binaires. Les trois utilisent les pronoms neutres « they » et « them ». Les employés ont déposé trois plaintes distinctes contre leur employeur pour discrimination fondée sur le genre, alléguant qu’il les avait mégenrés tout au long de leur service. Les employés faisaient plus particulièrement référence à un incident au cours duquel l’employeur a tenu auprès de clients des propos transphobes au sujet de ses employés de cuisine. Peu de temps après cet incident, les employés ont cessé de travailler à l’établissement en raison de la conduite de l’employeur et de l’absence d’un environnement de travail sécuritaire et non discriminatoire.

L’employeur a rejeté ces allégations et n’a pas répondu aux plaintes. Pour le Tribunal des droits de la personne, les plaintes étaient fondées; tant le mégenrage que les propos transphobes constituaient de la discrimination. Il a accordé 10 000,00 $ à chaque employé pour compenser la perte de salaire et l’atteinte à leur dignité, à leurs sentiments et à leur estime.

Cette décision sert de rappel aux employeurs : les plaintes pour mégenrage et transphobie sont prises au sérieux. Ils doivent prendre les mesures qui s’imposent pour offrir à leurs employés queer, non binaires et trans un environnement de travail exempt de discrimination.

  1. Hucsko v. A.O. Smith Enterprises Limited, 2021 ONCA 728 (en anglais seulement)

Le refus de prendre part à des mesures correctives après une enquête en matière de harcèlement sexuel au travail est un motif valable de congédiement.

L’employé visé dans cette affaire occupait un poste de concepteur de produit principal et était au service de l’employeur depuis 20 ans. On lui reproche d’avoir fait des allusions de nature sexuelle à l’endroit d’une gestionnaire de projet à quatre occasions. Une enquête a révélé que ses commentaires constituaient du harcèlement sexuel. L’employé s’est vu remettre une copie du rapport d’enquête et une lettre l’astreignant à suivre une formation de sensibilisation et à s’excuser à la plaignante. Il a accepté de suivre la formation, mais n’a pas voulu présenter d’excuses. Il a donc été congédié.

Le juge de première instance s’est fait demander de déterminer si les commentaires de l’employé constituaient du harcèlement sexuel. Il a décidé de ne pas le faire, puisque l’insubordination grave et volontaire était désignée comme étant le motif du congédiement, ce qui pour lui faisait référence au refus de s’excuser. Il était aussi d’avis qu’on n’avait pas conclu au terme de l’enquête que la conduite de l’employé constituait du harcèlement sexuel. Il a conclu que le refus de l’employé de s’excuser n’avait pas mené à une détérioration irréparable de la relation d’emploi.

Cette décision a été portée en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario, qui l’a infirmée. La Cour d’appel a conclu, à la lumière de l’enquête en milieu de travail, que la conduite de l’employé constituait sans équivoque du harcèlement sexuel. Pour elle, la gravité de l’inconduite et le refus de présenter des excuses avaient eu pour effet de rompre la relation employeur-employé, ce qui justifiait le congédiement. La Cour a conclu que le refus de l’employé de se conformer aux mesures correctives imposées à la suite de l’enquête constituait un motif valable de congédiement, même si là n’était pas la conséquence initiale de son inconduite.

Cette affaire rappelle aux employés et aux employeurs que le harcèlement sexuel en milieu de travail est très grave et peut, en lui-même, justifier un congédiement. De plus, le refus d’un employé de se plier aux mesures correctives que lui impose son employeur après une enquête équitablement menée peut aussi constituer un motif de congédiement, et ce, même si la faute initiale n’était pas assez grave.

  1. Kraft v. Firepower Financial Corp, 2021 ONSC 4962 (en anglais seulement)

Les employeurs pourraient être tenus de donner un préavis de common law plus important aux employés éprouvés par la pandémie.

Les employeurs doivent savoir que la pandémie peut les obliger à fournir une plus longue période de préavis prévue par la common law. L’affaire Kraft concerne la cessation non motivée de l’emploi du plaignant, un représentant du domaine de l’investissement bancaire, en mars 2020. Cet employé, qui comptait six années de service, réclamait une indemnité tenant lieu de préavis.

Il plaidait qu’il avait droit à une période de préavis plus longue en raison de l’instabilité du marché de l’emploi dans le contexte de la pandémie. La Cour a étudié la preuve présentée par l’employé pour démontrer les efforts qu’il a déployés en vain pour se trouver du travail, dont plus de 70 candidatures rejetées. La Cour a indiqué que les difficultés économiques associées au marché de l’emploi devaient être prises en compte lors de l’attribution de dommages-intérêts à l’employé. Elle indique au paragraphe 22 que [traduction] « des éléments de preuve démontrent que la pandémie a eu un effet sur la capacité du plaignant à trouver un nouvel emploi. Par conséquent, il mérite une période de préavis au moins légèrement supérieure à la moyenne. » La Cour a légèrement prolongé la période de préavis à laquelle l’employé aurait normalement eu droit, y ajoutant un mois, pour un total de dix mois.

La période de préavis doit certes être appréciée au cas par cas, mais les employeurs doivent néanmoins être conscients que la pandémie peut être un facteur justifiant un préavis plus important. Pour en savoir plus sur les périodes de préavis dans le contexte de la pandémie et le traitement variable que leur réservent les tribunaux du pays, consultez notre précédent article.

  1. Rahman v. Cannon Design Architecture Inc., 2021 ONSC 5961 (en anglais seulement)

Malgré la décision Waksdale de la Cour d’appel de l’Ontario, l’applicabilité des clauses sur la cessation d’emploi est un aspect du droit qui continue d’évoluer.

La décision Waksdale v. Swegon North America Inc., 2020 ONCA 391 figure dans notre liste des dix décisions les plus importantes de 2020. Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario précise que les contrats d’emploi, et plus particulièrement les clauses de cessation d’emploi, doivent être lus dans leur ensemble, de sorte que si une clause est invalide en droit (comme celle sur la cessation pour un motif valable), alors toutes les clauses sont invalides (y compris celle sur la cessation sans motif valable). Cette année, des parties ont tenté de mettre les principes de la décision Waksdale en application dans une affaire de congédiement injustifié. La défenderesse dans l’affaire Rahman, une filiale de l’américaine Cannon Corporation ayant un bureau au Canada (à Toronto, où travaillait la plaignante), voulait un jugement sommaire.

En réaction à la COVID-19, la société mère a procédé à des mises à pied et à des réductions de salaire. La plaignante a vu son salaire réduit, puis son emploi prendre fin sans motif. Elle prétend que les dispositions de cessation de son contrat d’emploi étaient nulles parce qu’elles ne respectaient pas les normes minimales de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, chap. 41 (« LNE ») de l’Ontario.

À son embauche en 2016, la plaignante a reçu une lettre d’offre visant son poste et une entente visant de façon plus générale les dirigeants, qui faisaient partie de ses modalités d’embauche. Elle a examiné ces deux documents avec un avocat avant d’accepter le poste. La Cour a rapidement rejeté quatre des cinq demandes de la plaignante au motif que la lettre d’offre indiquait clairement qu’elle s’appliquerait en cas incompatibilité entre les documents. Il était donc inutile d’évaluer les arguments fondés sur le libellé de l’entente de dirigeante, puisque la lettre respectait la LNE. Il restait à savoir si la disposition de la lettre d’offre sur la cessation d’emploi pour motif valable permettait la cessation sans préavis dans des circonstances plus larges que la LNE. Si oui, selon la plaignante, la disposition sur la cessation sans motif valable devait elle aussi être invalidée en vertu de l’affaire Waksdale.

Le juge a souligné les talents de négociatrice de Mme Rahman, de même que le fait que son avocat et elle n’ont exprimé aucune réserve sur les dispositions régissant la cessation d’emploi lors des négociations.

Qui plus est, Mme Rahman a négocié des modalités plus avantageuses lui donnant droit au minimum requis par la loi ou, si ce montant devait être plus élevé, à une indemnité tenant lieu d’un préavis de deux mois, si son emploi prenait fin sans motif dans les cinq premières années et si elle signait une décharge. La LNE ne lui donnait droit qu’à un mois. Selon la défenderesse, donner raison à la plaignante pourrait avoir l’effet non intentionnel de permettre aux employeurs de priver leurs employés de conditions équitablement négociées plus avantageuses que les normes minimales. La Cour était du même avis.

Lorsqu’ils rédigent des contrats d’emploi, les employeurs devraient insérer une disposition stipulant que les normes d’emploi légales constituent les droits minimaux. Ils devraient aussi conseiller aux employés potentiels de solliciter un avis juridique indépendant et d’étudier attentivement chacune des dispositions de leur contrat avant de le signer.

  1. United Nurses of Alberta v. Alberta Health Services, 2021 ABCA 194 (en anglais seulement)

Les normes sur la protection de la situation familiale dans le domaine des droits de la personne continuent de diverger au Canada.

Cet appel porte sur le contrôle judiciaire de la décision d’un conseil d’arbitrage concernant une infirmière qui a refusé un changement de quart de travail comme mesure d’adaptation fondée sur sa situation familiale. La juge de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta avait conclu que la décision majoritaire du conseil d’arbitrage était déraisonnable. Alberta Health Services (l’employeur) a interjeté appel. La Cour d’appel de l’Alberta cherchait à déterminer le critère applicable en droits de la personne pour évaluer l’existence à première vue de discrimination fondée sur la situation familiale.

Deux courants jurisprudentiels se font concurrence : le critère général établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, et la décision un peu plus récente de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, qui s’appuie sur la décision Moore. Selon l’arrêt Moore, le plaignant doit démontrer :

  1. qu’il possède une caractéristique qui est protégée contre la discrimination;
  2. qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à la norme contestée;
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

Toutefois, ce critère n’est pas systématiquement appliqué dans les décisions évaluant la discrimination fondée sur la « situation familiale » (soit la relation parent-enfant).

Dans l’affaire Johnstone, la Cour d’appel fédérale devait étudier une allégation de discrimination fondée sur le fait que l’employeur n’avait pas pris de mesures d’adaptation pour répondre aux besoins d’une employée quant à la garde de ses enfants. Elle a indiqué qu’il y a discrimination seulement « lorsque l’employé a cherché sans succès une solution de rechange raisonnable pour s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants et qu’il demeure incapable de remplir ses obligations parentales ». On a maintes fois fait remarquer que cela imposait aux employés une obligation de prendre leurs propres mesures d’adaptation qui ne figure pas dans l’arrêt Moore.

Depuis la décision Johnstone, nombre d’arbitres partout au Canada appliquent cette nouvelle norme plus exigeante dans des affaires portant sur la situation familiale, et d’autres adoptent des approches modifiées. La Cour d’appel de l’Alberta a mis les choses au clair pour les tribunaux de sa province : c’est le critère de l’arrêt Moore qui s’applique, et la décision Johnstone est non fondée en droit et inapplicable. Selon elle, l’arrêt Moore amène certitude et cohérence, tandis que la décision Johnstone est fondamentalement erronée. La Cour a rejeté le pourvoi, estimant que [traduction] « l’alourdissement du fardeau par une obligation de prendre ses propres mesures d’adaptation perpétue les inégalités au lieu de les atténuer ».

Il sera intéressant de voir si d’autres provinces emboîteront le pas à l’Alberta sur cette question. Pour l’heure, des tribunaux de partout au pays continuent d’utiliser le critère de la décision Johnstone et d’autres critères modifiés. En attendant l’intervention de la Cour suprême du Canada, employeurs et plaignants devront composer avec un certain degré d’incertitude vu les normes potentiellement divergentes dans les affaires concernant la situation familiale.

  1. United Food and Commercial Workers Union, Canada Local 333 Paragon Protection Ltd (inédit, 9 novembre 2021, Von Veh) (Ontario) et Electrical Safety Authority v. Power Workers’ Union (inédit, 11 novembre 2021, Stout) (Ontario) (en anglais seulement)

La jurisprudence naissante sur l’obligation vaccinale au travail est partagée.

Au Canada, de plus en plus d’employeurs adoptent des politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19. En novembre 2021, nous avons analysé deux des premières sentences arbitrales portant sur la contestation de telles politiques par des syndicats. Ces deux affaires illustrent que les conclusions sur cette question son mitigées.

Dans United Food and Commercial Workers Union, Canada Local 333 v. Paragon Protection Ltd, l’employeur avait mis en place une politique obligeant ses employés à être entièrement vaccinés, sous réserve des exemptions prévues par les droits de la personne. L’employeur dans cette affaire était une entreprise de sécurité employant 4 400 agents de sécurité dans 450 lieux en Ontario. Le syndicat a déposé un grief alléguant que la politique contrevenait à la convention collective et aux lois sur les relations de travail et les droits de la personne. L’arbitre a jugé que la politique était raisonnable et applicable. L’arbitre a tiré de nombreuses conclusions en faveur de la politique, notamment le fait qu’elle a été créée parce que la majorité des lieux où l’employeur offre ses services étaient déjà visés par des politiques de vaccination obligatoire. De plus, la convention collective prévoyait déjà que l’employeur pouvait exiger la vaccination de ses employés sur certains lieux de travail et que les employés pouvaient de façon plus générale être tenus d’être inoculés. Dans l’ensemble, l’arbitre était d’avis que la politique permettait un juste équilibre puisqu’elle offrait un milieu de travail sécuritaire tout en permettant des exemptions valides.

Dans Electrical Safety Authority v. Power Workers’ Union, la politique de vaccination obligatoire a été rejetée par l’arbitre, qui a toutefois pris soin de souligner que sa décision n’avait rien à voir avec les avantages ou l’efficacité de la vaccination contre la COVID-19. Il a d’ailleurs insisté sur le fait que la science avait prouvé l’innocuité des vaccins et leur efficacité dans la prévention des conséquences graves de la COVID-19, plus particulièrement celles du variant Delta. L’arbitre a toutefois jugé que la politique outrepassait les pouvoirs de gestion de l’employeur, puisque les employés non vaccinés pouvaient faire l’objet de sanctions allant jusqu’au congédiement. L’arbitre a souligné que les tests fréquents et le port du masque réduisaient déjà efficacement le risque de transmission sur le lieu de travail, et que la majorité des employés travaillaient de la maison. Par ailleurs, l’employeur était en mesure d’envoyer des employés vaccinés chez les clients qui en faisaient la demande. Il n’y avait pour l’arbitre aucune preuve que les employés non vaccinés posaient un réel problème pour les affaires de l’entreprise. L’arbitre a aussi mentionné que son analyse valait pour les conditions actuelles, et que la politique pourrait être raisonnable à un autre moment.

Ces deux décisions portaient sur un sujet alors nouveau, mais elles démontrent tout de même que les politiques de vaccination obligatoire sont évaluées au cas par cas et dépendent grandement du contexte. Vu la récente flambée des cas de COVID-19, le resserrement des mesures gouvernementales et l’accumulation des preuves attestant le rôle des vaccins dans la réduction des hospitalisations, elles ne représentent pas nécessairement les conclusions qui seraient formulées aujourd’hui. L’obligation vaccinale continue de faire couler beaucoup d’encre dans le domaine du droit du travail et de l’emploi. Il sera intéressant de voir comment la jurisprudence évoluera dans le contexte de la propagation fulgurante du variant Omicron. Nous encourageons les employeurs à bien réfléchir à leur approche et à communiquer avec nous pour avoir des conseils.

Cet article a été rédigé avec la collaboration de Leah Robertson, stagiaire chez Cox & Palmer.
lrobertson@coxandpalmer.com
902.491.5222

La présente publication de Cox & Palmer a pour unique but de fournir des renseignements de nature générale et ne constitue pas un avis juridique. Les renseignements présentés sont actuels à la date de leur publication et peuvent être sujets à modifications après la publication.